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ce fameux projet qu’on devait concerter ensemble pour surprendre pères et mères n’était pas même ébauché. Au bout de ce temps, Pepina crut remarquer un soir à la promenade des signes d’intelligence entre Gaëtano et Faustina. En rentrant dans la ville, on avait accoutumé de se réunir deux à deux, et les cavaliers offraient leur bras aux dames à la porte Felice. Ce jour-là, Gaëtano se laissa devancer par un autre jeune homme et demeura en arrière avec la fille de dame Rosalie. Pepina en fut alarmée d’abord ; mais elle songea qu’une conférence avec sa compagne pouvait être nécessaire touchant le projet de mariage trop négligé. Le lendemain, à l’heure du repos, lorsqu’elle ouvrit la petite porte du jardin, elle se trouva en face du jeune homme qui lui avait donné le bras à la promenade.

— Vous ici, Giulio ! lui dit-elle. Que venez-vous m’annoncer ? Gaëtano est-il malade ?

— Des affaires imprévues, répondit Giulio en balbutiant, des lettres de sa famille l’ont obligé de partir pour Marsala. — Comment savez-vous que je l’attendais ?

— Ne vous effrayez pas, belle Pepina. C’est par hasard que j’ai surpris le secret de vos amours. J’avais une affaire du même genre dans le voisinage, et j’ai rencontré Gaëtano à cette place, attendant l’heure comme moi. Il ne lui aurait servi à rien de dissimuler, mais je mourrais plutôt que de commettre une indiscrétion.

Pepina saisit impétueusement le jeune homme par le bras et le mena dans un coin du jardin.

— Giulio, lui dit-elle, vous êtes embarrassé, vous me cachez quelque chose : il faut parler sans ménagement. Si je suis trahie, abandonnée lâchement par cet homme, après lui avoir donné mon ame et mon honneur, parlez sans crainte, enfoncez le poignard.

— Eh bien ! reprit Giulio, que les autres vous trompent s’ils veulent, je n’en ai pas le courage. J’étais venu pour adoucir votre chagrin et vous préparer à connaître la vérité par des mensonges ; mais la voici dans toute son horreur : Gaëtano n’est point parti ; aucune lettre ne l’appelle à Marsala ; Faustina vous a volé son cœur ; en ce moment il est chez elle.

— Le malheureux ! s’écria Pepina en cachant son visage dans ses mains.

— C’est insensé, stupide, qu’il faut dire, reprit Giulio. Par vanité, par goût du changement, il sacrifie la plus aimable fille du monde à une coquette ; il quitte un ange pour un démon. Le pauvre fou ! il est ailleurs quand il pourrait être ici, à vos genoux. Ah ! je ne puis croire qu’un homme soit à ce point ennemi de lui-même. Je le chercherai, je lui ferai des remontrances. Il comprendra sa faute, et je vous le rendrai.