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de sept et huit noeuds. Plus d’une fois, pendant que la corvette soutenait bravement l’effort des vagues et de la brise, les matelots placés au bossoir crurent apercevoir la terre. Plus d’un nuage fut signalé comme la noire silhouette des Bashis ; plus d’une lame, en brisant sa crête phosphorescente, parut déferler au pied des rochers de granit. Enfin nous eûmes la certitude que l’îlot suspect était doublé, et nous pûmes soulager la corvette du fardeau trop pesant dont nous n’avions pas craint de charger ses mâts. À dix heures du soir, l’ordre fut donné de carguer la grand’voile. Il était temps : quelques minutes de plus, et la corvette eût été impuissante à supporter cette voilure.

Certains d’avoir gagné la mer libre, nous ne conservâmes plus que le grand hunier au bas ris, et, doucement balancés par les vagues qui venaient de nous secouer si rudement, nous passâmes le reste de la nuit à la cape. Le lendemain, nous prîmes la bordée du nord. Les eaux de l’Océan Pacifique remontent avec une grande vitesse le long de la côte orientale de Formose. Ce courant, dont l’existence n’a été bien connue que depuis la guerre des Anglais contre la Chine, est d’un grand secours quand on veut se rendre à Shang-haï pendant la mousson du nord-est. Aussi, la route plus directe du canal de Formose est-elle complètement abandonnée aujourd’hui pour la route extérieure. Dès que les îles Bashis sont dépassées, il n’y a plus de difficulté sérieuse jusqu’à l’entrée du Yang-tse-kiang ; mais la carte du dépôt de la marine, dressée sur celle d’Horsburg, contenait de graves erreurs que nous eûmes l’occasion de rectifier. Grace au zèle de M. Charles de Freycinet, alors enseigne de vaisseau et chargé pendant quarante-cinq mois des observations astronomiques à bord de la Bayonnaise, la position des îles Koumi, Hoa-pin-su et Raleigh fut déterminée avec toute la précision désirable, comme l’avait déjà été pendant l’année 1848 la situation des îles Grafton et Monmouth dans le canal des Bashis.

Nous n’étions plus qu’à quelques milles de l’archipel de Chou-san, et nous nous félicitions déjà de la rapidité de notre traversée, lorsque le vent, qui soufflait du sud-ouest depuis trente-six heures, tourna brusquement à l’ouest et au nord-ouest. Pendant trois jours, il nous fallut essuyer un coup de vent qui nous causa de plus graves avaries que la lutte dont nous venions de sortir victorieux. Notre poulaine fut enlevée par la mer, et notre équipage, déjà habitué au climat des tropiques, eut beaucoup à souffrir du froid intense qui succéda soudain à la tiède température qu’avaient amenée les vents de sud. Quand cette brise de nord-ouest eut épuisé sa furie, elle fit place à un vent d’est long-temps faible et incertain qui nous permit de donner dans le Yang-tse-kiang. À une heure du matin, nous laissâmes tomber l’ancre par cinq brasses de fond à quelques milles de l’île Gutzlaff. Avec le jour, nous étions