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de Lambay, dont le sommet élevé se détachait sur une longue chaîne de montagnes plus élevées encore. Jamais nous n’avions glissé sur des flots plus tranquilles, jamais ciel plus bleu n’avait brillé au-dessus de nos têtes. Cette île mystérieuse que si peu de navigateurs ont visitée, et qui recèle dans son sein, avec des richesses inexplorées, de sauvages habitans encore inconnus des Chinois eux-mêmes, Formose, s’étendait devant nous, et ne laissait arriver jusqu’à nos voiles qu’un frais et caressant zéphyr.

Cependant, à l’est de cette barrière, du côté de l’Océan Pacifique, la mousson annonçait sa présence par un rideau de vapeurs jeté comme un linceul sur l’horizon. Nous approchions à peine de l’extrémité méridionale de Formose, côte montueuse, escarpée, d’un aspect dur et sauvage, que quelques rafales violentes vinrent nous avertir de serrer nos voiles hautes et de réduire la surface de nos huniers. Nos précautions étaient prises avant que nous fussions engagés dans le canal. Il y a toujours un certain charme dans l’aspect des terres qui ont échappé à la curiosité des touristes et que n’ont point flétries de trop nombreux regards. Nous examinions avec intérêt ces gorges profondes, ces ravins déserts d’où s’échappaient les lourdes bouffées de la mousson, quand le matelot placé en vigie nous signala l’écueil de Vele-Rete. Incessamment battues par la vague, deux ou trois têtes de roche supportent depuis des siècles l’effort des ouragans qui désolent ces parages. On voyait la mer se briser sur le bord du récif, les embruns jaillir, semblables à une épaisse colonne de fumée, qui ne s’affaissait un instant sur elle-même que pour s’élancer plus haut encore. Nous passâmes à quatre ou cinq milles de l’écueil de Vele-Rete, n’osant pas, malgré la force des rafales, réduire notre voilure, de peur d’être entraînés par les courans près de ce banc dangereux. La brise cependant n’avait pas cessé de fraîchir. La mer était creuse et fatigante. L’extrême solidité de notre mâture nous permettait seule de conserver les basses voiles et les huniers, dans lesquels, désireux de sortir au plus tôt de ces fâcheux parages, nous n’avions voulu prendre que deux ris.

À sept heures du soir, nous avions dépassé le méridien de la roche Cambrian qui, couverte de quelques pieds d’eau, mérite de la part du navigateur plus d’attention encore que l’écueil de Vele-Rete. Il ne nous restait plus, pour avoir devant nous toute l’étendue de l’Océan Pacifique, qu’à doubler l’îlot septentrional des Bashis. Nous ne doutâmes point que les bonnes qualités de la corvette nous permissent d’y réussir. Nous avions cependant à lutter contre une véritable tempête. Les rafales semblaient à chaque instant plus pesantes, la mer couvrait d’eau et d’écume le gaillard d’avant de la corvette. Nous n’eussions point cru les reins de la Bayonnaise aussi solides. Malgré les énormes lames qui s’opposaient à sa marche, ce noble navire atteignait un sillage