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Bashis, la corvette eût probablement couru de grands dangers ; mais nous en fûmes quittes pour un violent orage. Placés sur le bord externe du tourbillon, nous nous éloignâmes sans peine du centre de l’ouragan, et la houle énorme qui nous avait suivis jusqu’en vue des côtes de Luçon tomba graduellement à mesure que nous approchions de l’île de Catanduanes et du détroit de San-Bernardino.

Le 12 septembre enfin, après avoir erré pendant quelques jours dans les canaux du détroit, entraînés ou repoussés par des marées capricieuses, nous reconnûmes les hautes montagnes de Maribelès, et, passant sous les falaises de l’îlot du Corregidor, nous donnâmes à pleines voiles dans la haie de Manille. Un navire à vapeur espagnol y entrait en même temps que nous. Ce steamer arrivait de Singapore : il apportait au gouverneur-genéral des Philippines les dépêches qui lui sont expédiées chaque mois de Madrid par la voie de Londres et par la malle anglaise ; il nous apportait aussi les instructions que le ministre de la marine, après les événemens de février et les funestes journées de juin, nous avait adressées à Manille. Les ordres du nouveau gouvernement de la France nous retinrent pendant près de trois mois sur les côtes des Philippines. Ce séjour prolongé dans la baie de Manille ne fut point favorable à la santé de notre équipage. En partant des îles Lou-tchou, nous comptions à peine quelques malades à bord de la corvette. Dans le courant de la semaine qui suivit notre arrivée devant la capitale de l’île Luçon, quarante-quatre hommes entrèrent à l’hôpital. Nous nous trouvions alors à l’époque du changement de la mousson : les pluies abondantes, les brusques variations atmosphériques que nous éprouvâmes aggravèrent sans doute la fâcheuse influence des terrains marécageux dont la baie est entourée, et favorisèrent le développement de ces affections miasmatiques. Ce fut sans regret que le 1er décembre 1848 nous quittâmes, pour nous rendre à Macao, un mouillage dont nous avions eu raison de tenir la salubrité pour suspecte.

Accomplie durant toute l’année par les bâtimens de commerce, la traversée de Manille à Macao n’exige pendant la mousson de nord-est qu’un navire solide et un gréement éprouvé. Les montagnes de Luçon arrêtent les brises violentes qui règnent dans l’Océan Pacifique, et qui s’engouffrent dans les canaux des Bashis pour venir soulever les flots de la mer de Chine. Sous ces terres élevées, on ne rencontre que des vents faibles et variables, qui permettent de remonter sans difficulté de la baie de Manille à la pointe Dilly ou au cap Bojador ; mais, dès qu’on abandonne l’abri de la terre pour traverser le canal, il faut assurer ses vergues, doubler ses écoutes et se préparer à un rude effort, car ce n’est qu’avec deux ou trois ris dans les huniers et en forçant de voiles que l’on peut atteindre les côtes du Céleste Empire. Au moment où