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le Choui-kouan s’était assis pour nous attendre, et que nous nous empressâmes de le rejoindre. Le maire de Choui semblait très âgé : sa longue barbe blanche, sa physionomie douce et bienveillante, son aspect vénérable, auraient suffi pour amollir nos cœurs, quand bien même nous eussions nourri de plus sinistres desseins contre le vil royaume d’Oukinia. Nous nous assîmes cependant en face de lui avec toutes les apparences de la plus extrême froideur, et nous gardâmes, tous un profond silence. Puisque le maire de Choui nous avait honorés de sa visite, c’était à lui de nous en apprendre les motifs. Cette entrée en matière paraissait embarrasser terriblement le plénipotentiaire oukinien. Il tournait souvent la tête vers les mandarins qui se tenaient debout derrière son fauteuil, et son regard inquiet semblait leur demander assistance ; mais l’indécision des mandarins n’était pas moindre que la sienne. Depuis quelques minutes, ils se parlaient à l’oreille avec une anxiété visible. C’était assurément le plus singulier spectacle qu’on pût voir que celui de tant de conseillers, graves et solennels dans leur robe traînante, l’éventail à la main, occupés à débattre d’un air affairé la question d’intérêt public qu’ils avaient à traiter avec nous. Enfin un des kouannins qui, suivant l’étiquette oukinienne, devait servir d’intermédiaire entre le maire de Choui et notre interprète, le speaker de ce curieux cénacle, s’accroupit près du père Leturdu, et murmura d’une voix mystérieuse quelques paroles qui nous furent ainsi traduites : « Le maire de Choui vous salue. » Après cet heureux début, les figures des mandarins s’épanouirent, et leur éloquence en devint plus facile. Nous apprîmes successivement que le maire de Choui espérait que nous n’avions fait aucune rencontre désagréable sur notre route, que les vents nous avaient été favorables et le ciel propice, que notre santé n’avait point souffert d’un si long voyage, et une foule d’autres choses aussi gracieuses et aussi intéressantes. L’heure nous pressait, et nous résolûmes à notre tour d’échapper à ces ambages et d’entrer dans le vif de la question. Nous parlâmes, puisqu’on nous y obligeait par cette visite intempestive, des mauvais traitemens essuyés par nos missionnaires, et nous adressâmes aux mandarins oukiniens les reproches que méritait la sourde persécution qu’ils n’avaient cessé d’exercer sans aucun motif contre des hommes honorables, paisibles, que l’amiral français leur avait recommandés comme ses amis, persécution qui avait enfin abouti à un acte d’hostilité ouverte, à une brutalité injustifiable. Le pauvre maire de Choui se tourna de nouveau vers les conseillers qui l’avaient une première fois tiré d’embarras. Que faut-il répondre ? se demandaient-ils entre eux sans se mettre en peine, dans leur trouble, de nous dissimuler cette étrange délibération. Après une longue pose, qui parut employée à examiner toutes les faces de la question, l’orateur oukinien