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Chaque famille conserve précieusement une tablette sur laquelle se trouvent gravés les noms des parens morts. Souvent les ames envolées sont attirées vers cette terre par les offrandes et les sacrifices ; elles se reposent alors sur ces tablettes écrites de la main des bonzes et tenues en plus grande vénération que les idoles groupées par un culte superstitieux autour de la grande image de Bouddha. La religion des samouraïs n’est point la même que celle des hiacouchos. En leur qualité de nobles, ils se piquent d’imiter les esprits forts de Pe-king. La philosophie de Confucius sert, aux Lou-tchou comme en Chine, de base à un vague déisme qui suffit aux instincts religieux de la classe supérieure. Les samouraïs ne refusent point cependant un culte extérieur aux dieux immortels, aux fotoques. Les hiacouchos honorent à la fois les fotoques et les kamis. Ces dernières divinités occupent les degrés inférieurs de l’olympe : ce ne sont, à proprement parler, que des demi-dieux, des saints, des esprits. Les empereurs du lapon, les rois des Lou-tchou deviennent presque tous des kamis. Le peuple ne les invoque qu’en tremblant et ne leur offre de sacrifices qu’afin de détourner leur colère. La seule faveur qu’il implore de ces puissances malfaisantes, c’est qu’une fois descendues dans la tombe, elles ne cherchent plus à lui nuire. On comprendra facilement l’origine de ce culte peu honorable pour les souverains oukiniens, quand on connaîtra le régime féodal et despotique sous lequel gémissent les pauvres insulaires des Lou-tchou. Il n’est pas une des actions de leur vie qui ne soit réglée par la police. Cet œil mystérieux et caché qui surveille toutes leurs démarches, qu’ils croient voir à chaque instant reluire et briller dans l’ombre, les tient dans une perpétuelle anxiété. Les jouissances de la propriété n’existent point pour eux. La terre appartient au roi, qui en distribue les produits aux samouraïs et aux kouannins. Les hiacouchos ne peuvent se procurer qu’en de rares occasions le riz qu’ils ont cultivé, la viande des bestiaux qu’ils font paître. Bien que ce riz et cette viande ne coûtent pas à Choui ou à Nafa plus de 15 sapecs la livre (environ 5 centimes de notre monnaie), le peuple n’en est pas moins obligé, par sa pauvreté, de vivre de patates douces et de taro pendant la majeure partie de l’année. Il ne connaît ses maîtres que par les travaux qu’ils lui imposent et la crainte qu’ils lui inspirent. Il n’est donc point surprenant qu’après les avoir placés dans le ciel, il leur ait rendu ces hommages que les Grecs n’accordaient autrefois qu’aux divinités infernales.

Après avoir entendu avec un vif intérêt le jeune missionnaire nous expliquer sur les marches mêmes de l’autel bouddhique ces mystères de la théodicée oukinienne, nous sortîmes de la pagode par un large portique que gardent deux affreux géans de pierre aux farouches regards, à la bouche grimaçante deux véritables cerbères à face humaine.