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enthousiasme pour les beautés de la nature. C’était un bois sobre, majestueux, fait pour le recueillement et la méditation, où le pin mêlait ses rameaux éplorés aux grandes ombres du figuier des banyans, où, au lieu des lourdes vapeurs des forêts tropicales, on sentait courir un air pur, tout empreint des suaves senteurs que la brise apportait de la montagne. Ce fut en nous avançant sous ces voûtes, dont une verdure éternelle interdit l’accès aux rayons du soleil, que nous atteignîmes la grande pagode de l’île, le temple où les bonzes allument devant l’autel de Chaka, — le Bouddha des Thibétains, le Fo des Chinois, — les bâtonnets apportés de Lhassa ou de Pe-king.

Les Oukiniens ne témoignent point pour leurs temples plus de respect que n’en montrent les Chinois. C’est dans une bonzerie qu’avaient été logés nos missionnaires ; c’est dans un semblable édifice que résidait le docteur Bettelheim et que s’établissent d’ordinaire les ambassadeurs étrangers. Nous n’avions donc point à craindre, en visitant cette chapelle bouddhique, de blesser un sentiment religieux que nous eussions cru de notre devoir de respecter. Les bonzes avaient suivi l’exemple des habitans de Choui. Leur couvent était entièrement désert. Nous pûmes, sans que personne vînt nous troubler dans nos observations, étudier l’intérieur des étroites cellules, admirer la charpente bizarrement sculptée du temple, pénétrer enfin jusque dans le sanctuaire. Et cependant, faut-il l’avouer ? en posant le pied sur les marches de l’autel, en portant une main hardie sur ces vases sacrés que les bonzes eux-mêmes ne craignent point d’employer aux usages les plus vulgaires, nous nous sentions presque confus d’une pareille profanation. C’est que rien ne ressemble plus à un autel catholique que cette table dressée au fond de la pagode pour recevoir les sacrifices offerts à la Divinité. Là, devant l’image de Bouddha entouré de ses disciples, vous retrouverez les vases de fleurs, les candélabres, le tabernacle même, qui décorent les autels de la madone ; vous aspirerez le parfum de l’encens, vous entendrez à certaines heures du jour l’écho de la cloche lointaine

Che paja al giorno pianger che si muore.

La pagode de Choui est desservie par des bonzes qui ont fait vœu de chasteté, ne vivent que de racines, ont la tête rasée, et dont la règle a plus d’un rapport avec celle des communautés monastiques. Ces religieux ne jouissent d’aucune influence politique. Leur ignorance, leurs dehors abjects, leurs habitudes de mendicité semblent même les avoir privés de la considération qu’en tout autre pays le peuple accorde aux hommes qui se vouent à la retraite et à la prière. Les cérémonies bouddhiques n’ont rien non plus qui attire le peuple oukinien. Le seul culte qui possède ses sympathies, c’est le culte des ancêtres.