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de faire descendre les mandarins qui venaient d’arriver dans la batterie et de les introduire dans la salle de conseil. Conduits par un timonier jusqu’à la chambre du commandant, les kouannins soulevèrent humblement la portière qui masquait l’entrée de cette chambre, séparée du reste de la batterie par une simple natte, et décorée de sabres et de fusils comme une salle d’armes. S’inclinant alors jusqu’à terre, prêts à frapper du front les durs bordages de chêne, ils attendirent, dans une attitude respectueuse et craintive, qu’on les fît asseoir. Ils étaient envoyés par le maire de Nafa, dont ils s’empressèrent de présenter la carte de visite, petit volume de papier rouge sur lequel se trouvaient tracés ces caractères chinois : « Le maire de Nafa au commandant de la frégate française, salut ! » En leur qualité d’ambassadeurs, les mandarins portaient ce jour-là un chapeau de soie jaune, haut de cinq ou six pouces, cylindrique et sans bords. Leurs cheveux étaient relevés sur le sommet de la tête comme ceux des femmes chinoises et retenus par une grosse aiguille d’argent. Une longue robe en fil de bananier, croisée sur la poitrine, les enveloppait des pieds à la tête et laissait à peine apercevoir leurs bas de percale, d’une blancheur éclatante. Leurs sandales de rotin avaient été, conformément à l’étiquette, déposées à la porte. Ces sandales ne se composent que d’une simple semelle surmontée d’une bride que l’on introduit entre l’orteil et le premier doigt du pied. C’est une chaussure à la fois commode et très économique, que nos missionnaires s’étaient empressés d’adopter.

Ce premier échantillon du peuple oukinien nous prévint en sa faveur. Nous avions assurément devant nous des physionomies plus ouvertes et plus honnêtes que celles que nous avions l’habitude de rencontrer sur les côtes du Céleste Empire. Évidemment les Oukiniens ne sont pas de descendance chinoise. Ce n’est pas seulement à leur teint plus brun, à leur face moins aplatie, à leurs pommettes moins saillantes qu’on peut reconnaître en eux une race distincte de celle des Chinois. Il est un trait propre aux fils de Han qui ne s’efface, même chez les métis, qu’après bien des générations : c’est cette conformation si étrange des paupières, qu’on croirait attirées vers le sommet de la tête par un nerf placé tout exprès pour les tenir en bride. Les Oukiniens ont au contraire de grands et beaux yeux noirs à fleur de tête, des paupières parfaitement horizontales, mais demi-fermées, ce qui, joint à la convexité et à la proéminence de la cornée, leur donne une apparence de myopie.

Quand les envoyés du maire de Nafa se furent assis sur le bord de leurs chaises, repliés sur eux-mêmes et semblant se faire petits comme le pauvre de La Bruyère, nous leur fîmes connaître nos intentions. Nous descendrions le lendemain à terre pour visiter l’île, et nous entendions ne pas être suivis. Nous désirions en outre renouveler nos