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lorsqu’en présence des mandarins de Choui et de Nafa, le corps du père Adnet eut été confié à la terre, il ne put s’empêcher de trouver bien vide la cellule commune et de songer à l’affreux isolement dans lequel le plongeait la mort de son unique ami, du seul être avec lequel il pût échanger ses pensées. Deux mois cependant s’écoulèrent avant que la Bayonnaise apparût et vînt jeter l’ancre sur la racle de Nafa.

Nous étions encore émus du récit du père Leturdu et indignés des mauvais traitemens qu’il avait subis, quand un bateau chargé de mandarins, de kouannins, si l’on veut adopter l’expression oukinienne, arriva le long du bord. Cet empressement témoignait déjà de l’inquiétude qu’éprouvaient les autorités des Lou-tchou. Lorsqu’après le guet-apens du 17 octobre les mandarins s’étaient humiliés devant nos missionnaires, la réponse de M. Bettelheim les avait remplis d’alarme et d’effroi : « Nous vous pardonnons, avait dit le docteur ; mais le royaume ne vous pardonnera pas. » MM. Leturdu et Adnet n’étaient point, en effet, des missionnaires ordinaires ; ils avaient été conduits à Nafa par une frégate française, et laissés dans l’île du consentement des mandarins : on les avait acceptés comme des agens officiels, on s’était engagé à les traiter avec plus d’égards qu’on n’en avait témoigné à Mgr Forcade, et, loin de remplir ces promesses, on avait failli, pour les empêcher d’user d’un droit jusqu’alors reconnu, les faire périr sous les coups des agens de police. Il y avait sans aucun doute, dans ce concours de circonstances, des motifs plus que suffisans pour exiger une réparation ou pour apprendre par quelque mesure sévère à ce peuple qui semblait cacher une finesse cauteleuse sous sa feinte douceur le respect des engagemens pris envers la France. Malheureusement les intérêts de la religion se trouvaient ici mêlés avec ceux de la politique, et, si nous nous sentions disposés à venger toute atteinte portée à la considération de notre pays, nous n’eussions pas voulu lever un doigt dans la querelle du Seigneur. Mgr Forcade avait noblement répondu aux mandarins qui le suppliaient, au mois de juin 1846, de ne point dénoncer à l’amiral les petites vexations dont il avait été victime : « Un prêtre français ne se venge jamais. » Tel était l’esprit général des missions de la Chine et telles étaient aussi les dispositions du père Leturdu. Il fut donc convenu entre nous que, sans user de notre droit de représailles, sans même demander la punition des satellites qui avaient maltraité les missionnaires, nous bornerions notre vengeance à inquiéter, par une extrême froideur et un brusque départ, les autorités, qui n’avaient fait probablement qu’obéir à cette pression morale du Japon, contre laquelle leurs habitudes d’asservissement ne leur avaient point permis de protester.

Notre programme politique ainsi arrêté avec le père Leturdu, parfaitement en état de nous servir d’interprète, nous donnâmes l’ordre