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des synagogues, ce n’est pas là son affaire. Si cette pensée nous vient en lisant ses ouvrages, cela prouve seulement quelle est l’impartialité du conteur, et avec quelle vivacité sincère il reproduit ce qu’il a vu. Nous pouvons nous fier à ses rapports : il écrit pour nous les mémoires particuliers du monde juif ; il nous révèle ce qui se passe aujourd’hui au fond de ces classes simples où s’est réfugiée la foi de Moïse. Là est encore la foi, là est aussi le drame, l’instruction, l’intérêt. L’étude des mœurs israélites dans les hautes classes nous apprendrait peu de chose ; l’auteur a bien fait de s’adresser aux paysans, surtout aux paysans d’un royaume où les communications des classes sont peu fréquentes, et où les lumières n’ont guère pénétré vers le bas. Que le doute y ait déjà sa place, c’est une chose grave assurément ; que la famille juive soit troublée par des déchiremens de ce genre dans un obscur village de la Bohême, c’est un symptôme que le moraliste doit recueillir et qui peut donner à penser. Suivons encore dans leur humble existence de chaque jour les naïfs personnages de M. Kompert ; on dirait une enquête historique, tant les peintures sont nettes, tant les caractères sont reproduits sans efforts et marqués du sceau de la réalité.

Nous venons de voir les douloureux drames domestiques que produit au sein même des retraites les plus paisibles de la Bohême l’altération des croyances juives ; nous avons vu, du père au fils, de la mère à la fille, les liens religieux se dénouer, et un désespoir muet succéder chez des ames candides aux imperturbables illusions de l’espérance. Les mêmes gens qu’atteignent si profondément ces émotions pénibles savent résister à l’oppression des gouvernemens. Ils ne survivent pas aux déchiremens intérieurs, et, devant les mille entraves qu’une loi barbare leur oppose, devant les brutales iniquités dont ils vont chaque jour les victimes, ils se relèvent, ils retrouvent leur obstination invincible. Les lois de l’Autriche sont bien cruelles pour les Juifs des campagnes ; la loi fixe un certain nombre de familles qui ne peut s’accroître : le fils aîné hérite du titre de chef de famille, il est le seul à qui il soit permis de se marier. Que de drames secrets amenés par cette barbarie ! Le mariage, la propriété, les droits primordiaux de la vie humaine sont interdits à une foule de malheureux ; ils sont mis hors la loi et rejetés du sein de la nature. S’ils se marient cependant, que deviendront leurs enfans ? Des bâtards. Cette injure fut adressée un matin au fils de Jaikew et de Resèle par un vaurien de leur village. On célébrait la Pentecôte, et le brave Jaikew allait joyeux de côté et d’autre, quand tout à coup, au milieu d’une querelle d’enfans, il entendit ces paroles qui lui figent monter le rouge au visage : « Va, va, ton père et ta mère se sont mariés sans autorisation ; tu n’es qu’un bâtard ! » Il s’approche ; c’était son enfant qu’on insultait