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devait apparaître le signal qui nous annoncerait l’arrivée du navire promis par M. Forbes. Nous ne doutions pas un instant que cet ami dévoué ne fût fidèle à l’engagement qu’il avait voulu contracter envers nous ; mais un typhon avait pu engloutir ou démâter le bâtiment expédié de Macao, et nous résolûmes de ne pas attendre à San-Luis au-delà du 10 août les nouvelles que nous nous étonnions de n’avoir pas reçues encore. Si aucun navire ne nous avait rejoints avant cette époque, nous étions décidés à faire voile sans plus tarder pour Manille. Le 8 août, au lever du soleil, nous fûmes heureusement tirés d’inquiétude. Une goëlette, déployant à sa corne le pavillon des États-Unis, louvoyait au large pour gagner l’entrée de la baie d’Apra. C’était l’Anglona qui, après avoir déposé une cargaison d’opium à Wossung, avait poussée par la mousson de sud-ouest qui régnait alors sur les côtes de Chine, donné dans le détroit de Van-Diémen, et venait de gagner, par une route nouvelle, l’Océan Pacifique et les îles Mariannes. Cette goëlette n’avait quitté Macao que vers la fin du mois de juin. Les nouvelles apportées par le courrier qui était arrivé à Hong-kong le 17 mai n’avaient point paru à M. Forbes ni à M. Forth-Rouen d’une nature assez concluante pour motiver l’envoi de l’Anglona aux Mariannes. M. Forbes avait donc attendu, pour expédier l’Anglona, que ce navire pût nous porter les lettres et les journaux partis de Paris le 24 avril. L’horizon politique était loin d’être, à cette époque, entièrement dégagé ; mais il était déjà facile de prévoir que les premiers ennemis qu’aurait à combattre la nouvelle république ne seraient malheureusement point des étrangers.

Ainsi s’évanouit un projet de croisière dont il serait inutile aujourd’hui d’exposer plus amplement les détails ou de discuter les chances. Suggéré par un de ces esprits fertiles en expédiens, qui ont l’instinct de la marine sans avoir pratiqué le métier de la mer et auxquels l’habitude des grandes opérations commerciales a donné l’intelligence des conceptions hardies et des combinaisons ingénieuses, ce projet n’était réalisable qu’avec le concours de l’homme qui l’avait conçu et inspiré. M. Forbes fit pour nous, en cette occasion, ce qu’il eût à peine songé à faire pour des compatriotes. Il fut impossible de lui persuader que le voyage de l’Anglona devait donner lieu à une indemnité qui serait facilement accordée par le gouvernement français. Le consul américain voulait que le service rendu à la Bayonnaise conservât le caractère d’un service personnel rendu par M. Forbes aux amis qu’il avait adoptés. Le ministère des affaires étrangères et celui de la marine se chargèrent heureusement, quelques mois plus tard, d’acquitter par des remerciemens officiels une dette que les officiers de la Bayonnaise n’auraient pu payer qu’incomplètement par leur reconnaissance.