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à ses légendes mystiques. Le père est soucieux, l’ame de la mère est en deuil. Quel contraste avec les années heureuses où la famille du randar vivait sous l’abri d’une même croyance ! Anne n’est pas plus fidèle que Maurice ; l’étude a détourné l’un du chemin que suivaient ses pères, c’est l’amour qui emportera l’autre. Elle a aimé, tout enfant, un de ses compagnons de jeux nommé Honza, un enfant catholique du même village, devenu plus tard le camarade de Maurice à l’université. Honza entre au séminaire ; il revient dans ses campagnes natales avec le caractère de prêtre, et, employant au profit de sa foi l’ascendant que lui donne la folle passion de la jeune fille, il la convertit en secret, il lui fait abjurer le judaïsme. Les désordres de Maurice avaient tué déjà la pauvre femme du randar ; le randar à son tour sera tué par l’abandon de sa fille. Point de colères, point de malédictions violentes ; l’un et l’autre, ce père et cette mère désolés, ils ne peuvent faire autre chose que mourir. De tels événemens ne sont rien quand on les résume en peu de mots ; le vivant récit de l’auteur en fait une tragédie pleine de larmes. L’originalité du tableau de M. Kompert est dans un mélange très habile de majesté religieuse et d’émotions domestiques. Ce Mardochée, — je répète le vrai nom qui convient au fermier de la Bohême. — ce Mardochée compatissant et grave qui veille sur ses frères, qui les accueille tous à son foyer, que tant d’Israélites indigens, en Galicie, en Hongrie, en Pologne, à deux cents lieues à la ronde, se recommandent les uns aux autres comme leur patron, — il n’a pas su, hélas ! garder ses propres enfans. Dans cette tente de Jacob qu’il dresse avec un religieux enthousiasme pour y recueillir tant de pèlerins égarés, les deux places les plus chères demeureront vides ; voilà pourquoi il meurt. La narration de M. Kompert est pleine de mouvement et de vie. C’est bien en Bohême que la scène se passe, les détails de la réalité y sont reproduits avec une franchise singulière ; rien d’abstrait, rien qui donne à la pensée philosophique la place que l’imagination doit remplir ; cependant un souffle tellement religieux, un si grave sentiment biblique anime ces familières aventures, que le récit en maints endroits s’élève sans effort aux proportions du symbole. Ce n’est plus l’histoire de la famille du randar qui se déroule sous nos yeux ; il semble voir la triste et expressive image des destinées d’Israël.

Cette impression qu’éprouve le lecteur attentif, M. Léopold Kompert a-t-il voulu la produire ? Je ne le crois pas. M. Kompert est surtout un peintre ; c’est une imagination vive, sympathique, habile à reproduire les mœurs populaires ; il aime les populations juives, il s’associe à leurs souffrances, et si une intention philosophique soutient en lui l’artiste, c’est uniquement, je l’ai déjà dit, le désir de consoler des ames affligées ou de moraliser des cœurs violens. Écrire, l’histoire prophétique des derniers descendans d’Abraham, annoncer la ruine prochaine