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Japon ou du Kamtschatka les gigantesques cétacés de l’Océan Pacifique, viennent chercher à Guam, pendant les mois d’octobre et de novembre, un climat sain, une rade paisible et quelques rafraîchissemens pour leurs équipages. Ce mouillage, situé dans la direction même d’où souffle le vent pendant la majeure partie de l’année, est cependant d’un abord difficile pour les bâtimens à voiles. C’est en disposant des amarres sur les récifs et en se faisant remorquer par ses embarcations que l’on parvient à gagner par une bouche étroite cette darse naturelle, dont les quais, recouverts de deux ou trois pieds d’eau à la marée montante, entourent de murailles presque verticales un bassin semi-circulaire. Une fois établie au milieu de la Cadera-Citica, embossée en travers de la passe, opposant sa batterie entière et un redoutable feu d’écharpe à l’ennemi qui eût tenté, en dépit du vent et des récifs, d’arriver jusqu’à elle, la Bayonnaise pouvait affronter sans crainte les attaques d’une flotte entière. Aucun mouillage au monde n’offrait sous ce rapport des avantages comparables à ceux de la baie d’Apia. On pouvait braver les assauts qui viendraient du dehors, et on n’avait point à se préoccuper de ceux qu’aurait pu susciter dans l’île même l’annonce d’une coalition européenne. Si l’Espagne, en effet, eût, dans une guerre générale, pris parti contre nous, ni la garnison, ni les forts de San-Luis-d’Apra n’eussent menacé de dangers bien sérieux une corvette de vingt-huit canons et un équipage de deux cent quarante hommes.

Dès le lendemain de notre arrivée, nous songeâmes à occuper un poste qui nous permettait d’attendre dans la sécurité la plus complète les nouvelles que devait nous faire parvenir M. Forbes. Quand nous eûmes atteint le point où les passes trop resserrées ne nous laissaient plus la faculté de nous aider de nos voiles, nous eûmes recours aux amarres et aux ancres. Déjà nous croyions toucher au but de nos efforts. Quelques centaines de mètres nous séparaient de l’entrée du dernier goulet, signalée par deux balises, quand un grain violent vint nous obliger à laisser tomber l’ancre au milieu de nombreux pâtés de coraux. Notre situation était faite pour inspirer d’assez vives inquiétudes. L’aspect sinistre du ciel, l’abaissement soudain du mercure dans les tubes du baromètre, annonçaient un ouragan. incapables de sortir avec la forte brise qui soufflait déjà du dédale tortueux dans lequel nous étions engagés, nous n’avions qu’un parti à prendre, celui de nous affermir de notre mieux au centre des écueils qui nous environnaient de toutes parts. Pendant la nuit, l’ouragan prévu éclata. La pluie tombait par torrens, et la violence des rafales semblait augmenter d’heure en heure. L’obscurité profonde ne nous permettait pas de distinguer si nous conservions notre poste, ou si nous nous approchions insensiblement des récifs. Aussi attendions-nous le jour avec impatience ; mais, quand le jour parut, des nappes d’eau, moins semblables à une pluie d’orage