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De toutes parts cependant, les offres de service et les marques de sympathie nous étaient prodiguées. Le gouverneur de Macao voulait que la Bayonnaise vînt mouiller dans le port intérieur et y attendît l’issue des événemens, dont la marche rapide ne pouvait, suivant lui, mettre notre patience à une bien longue épreuve. Malheureusement la Bayonnaise n’aurait pu entrer dans le port de Macao sans s’alléger du poids de son artillerie. La barre une fois dépassée, on trouvait, il est vrai, une profondeur plus considérable dans le canal, et nous eussions pu nous présenter devant les quais portugais avec tout notre armement ; mais, pour sortir du port, il eût encore fallu nous faire suivre de nos canons, déposés dans des bateaux chinois, manœuvre que la présence d’un seul brick anglais mouillé sur la racle aurait pu rendre impraticable. Accepter la proposition du gouverneur de Macao, n’eût donc été nous exposer à voir nos mouvemens paralysés pendant une partie de la guerre par des forces bien inférieures à celles dont nous disposions. Obligés de décliner les offres chevaleresques du gouverneur Amaral, craignant aussi pour la santé de notre équipage les conséquences d’un séjour prolongé sur la rade de Manille pendant la saison des pluies et des grandes chaleurs[1], nous accueillîmes avec reconnaissance les propositions du consul des États-Unis, M. Forbes, et le plan de campagne qui nous fut suggéré par son ingénieuse expérience. Il fut convenu que nous gagnerions secrètement l’île de Guam, la seule île habitée de l’archipel des Mariannes, et que là, mouillés dans le port de San-Luis d’Apra, au fond d’un bassin défendu par une triple chaîne de récifs, nous attendrions l’issue de la crise européenne. M. Forbes se chargea de nous faire parvenir les nouvelles du continent par un des nombreux navires qu’entretient dans les mers de Chine la maison Russell, puissante maison de commerce américaine dont il était alors le représentant à Canton. Si la paix n’était point troublée, nous devions revenir à Macao après avoir visité les îles Lou-tchou et les Philippines ; si, au contraire, nous apprenions que la guerre était déclarée entre l’Angleterre et la France,

  1. Nous avions perdu deux hommes du choléra pendant le court séjour que nous fîmes devant Manille au mois de mars, et les terribles symptômes des maladies miasmatiques dont nous avions contracté le germe dans la mer des Moluques avaient reparu à bord de la corvette avec une intensité effrayante.