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à droite et ouvert de ce côté, de manière à laisser au bras une entière liberté pour la mimique des plaidoiries. Les jongleurs allaient à cheval, la vielle suspendue à l’arçon de la selle. Les paysans portaient la jaquette serrée et liée autour des reins par une ceinture de cuir, tandis que les classes maudites ou dégradées, les filles perdues, les Juifs, les cagots, les lépreux, se distinguaient par des vêtemens pour ainsi dire officiels, que le mépris ou la crainte leur avaient infligés comme symbole d’une éternelle réprobation.

Le costume de la plupart des rois, dans les temps ordinaires, était en général fort simple ; mais, à certains momens, dans les grandes solennités de la vie politique, ils revêtaient des costumes d’apparat auxquels était attachée la représentation du pouvoir suprême. L’habit du sacre, confié à la garde de l’abbé de Saint-Denis, et transmis de roi en roi comme le sceptre et la main de justice, se composait d’une dalmatique bleue, d’un manteau de même couleur, de chausses de soie violette, de bottines de soie bleue fleurdelysées d’or. Cet habit du sacre resta à peu près le même à toutes les époques de la monarchie. Dans les autres solennités, les rois et les princes suivaient la mode ; mais on peut dire qu’en général, au XIIIe et au XIVe siècle, ils se montraient peu recherchés dans leur toilette. Saint Louis portait habituellement une robe de grosse étoffe fourrée de poil de chèvre ou d’agneau, et des éperons en fer bruni. Le plus riche habillement de Louis VIII avait coûté 9 livres 15 sols, soit 198 fr. de notre monnaie, et il faut convenir qu’en fait de luxe les rois de France étaient singulièrement effacés par les rois d’Angleterre, car on voit dans Kington que l’un des habits de Richard II avait coûté 30,000 marcs d’argent, 1,500,000 fr. en valeurs modernes, et que, parmi les seigneurs de la Grande-Bretagne, il s’en trouvait, comme Jean d’Arundel, qui possédaient à la fois cinquante-deux habits en étoffe d’or. Il est à remarquer, du reste, qu’en France la noblesse et la bourgeoisie se montrèrent toujours, en fait de toilette et de magnificence, beaucoup plus magnifiques que les rois, et que, dans ces deux classes, le luxe était beaucoup plus répandu qu’on ne le pense généralement, quand on juge exclusivement le moyen-âge d’après sa barbarie intellectuelle. Des témoignages nombreux et irrécusables sont là pour prouver que la fabrication indigène en tout ce qui touche les effets d’habillemens, étoffes, bijoux, fourrures, etc., avait atteint un assez grand développement, et, malgré l’insuffisance des procédés technologiques, un certain degré de perfection ; que, de plus, les relations de commerce s’étendaient beaucoup plus loin qu’on ne le suppose, et que les gens riches du XIIIe et du XIVe siècle étaient, dans leur mise, bien autrement élégans que les riches de nos jours. Par un contraste qui se rencontre dans toutes les civilisations peu avancées, au moment où l’on étalait dans les habits une somptuosité splendide, on était dans l’ameublement d’une simplicité extrême : tout le luxe était exclusivement porté sur l’argenterie de table ; mais, sous ce rapport comme sous le rapport des vêtemens, il est hors de doute que le moyen-âge ne le cédait en rien à notre époque.

CH. LOUANDRE.




V. de Mars.