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adolescens qui nous affligent de leurs rides précoces, et apportent déjà dans l’exercice de leur art toutes les tristes combinaisons du métier. Il y a quelques années, à propos du drame d’Un Poète, nous avions signalé les espérances que donnait le talent de M. Jules Barbier. Nous avions cru sentir dans cette œuvre, au milieu des hésitations d’une main bien novice, quelques bouffées de cet air frais et pur qui annonce les belles journées. Hélas ! que sont devenues toutes ces promesses ? M. Barbier s’est abandonné aux mercantiles influences de notre temps. Au lieu d’attendre l’inspiration, il l’a brusquée ; au lieu de se concentrer dans une tâche laborieuse et choisie, il s’est gaspillé en cent façons, et aujourd’hui la poésie a disparu dans le mouvement de cette industrie dramatique. Les Marionnettes du Docteur, jouées l’autre soir, n’ont rien, de commun avec l’art véritable. Un vieux médecin a deux nièces charmantes qu’il voudrait marier avec deux jeunes gens du voisinage, l’un enthousiaste et léger, l’autre misanthrope et pessimiste, mais s’accordant tous deux sur un point : une égale répulsion pour le mariage et les vulgarités de la vie de famille. Le docteur imagine, pour les convertir, un moyen quelque peu bizarre : il fait jouer devant eux, par des marionnettes, un drame dans lequel il encadre d’avance tout ce qui ne manquerait pas de leur arriver, s’ils donnaient suite à leur projet de départ pour Paris. Par un jeu de scène dont on accepterait l’invraisemblance, s’il en résultait quelque beauté réelle, ces marionnettes sont remplacées, au moyen d’un rideau qui s’abaisse, par les personnages eux-mêmes, qui deviennent ainsi tout à la fois les spectateurs et les héros de cette morale en action. On devine ce qui s’en suit : l’enthousiaste, l’élégant, est représenté s’engageant dans une liaison mondaine où il ne trouve que déceptions, ennuis et désespoir ; son frère, le misanthrope, à force de pessimisme et de méfiance, laisse échapper le bonheur qui s’offrait à lui, et finit par mourir poitrinaire, dépouillé, dès son agonie, par ses collatéraux et ses domestiques, — si bien que, la pièce terminée, les deux jeunes gens comprennent toute la portée de la leçon. Ils renoncent à partir pour Paris ; l’un consent à se contenter d’un bonheur bourgeois, l’autre se décide à y croire, et ils épousent les deux nièces du docteur.

Nous ne sommes pas de ceux qui voudraient voir jeter dans un même moule toutes les pièces de théâtre et imposer d’étroites limites à la fantaisie du poète. Nous pardonnerions donc bien volontiers aux auteurs ces marionnettes changées en personnages vivans, si ces personnages vivans ne restaient pas, hélas ! de vraies marionnettes ; et encore est-on forcé de se souvenir qu’une main intéressée en tient les fils, si l’on veut admettre ce plaidoyer pro domo suâ, ce nouveau manifeste en faveur des vertus domestiques et des joies modérées contre les ivresses et les désenchantemens de la passion. Nos jeunes auteurs sont devenus de si rigides casuistes, de si édifians prédicateurs en fait d’orthodoxie conjugale, que vraiment nous craindrions de leur paraître hérétiques au premier chef et dignes de tous leurs anathèmes, si nous prenions le parti de cette pauvre passion si rudement menée par eux. Aussi, pour ne point les scandaliser, nous leur dirons simplement qu’ils honoreraient encore mieux le triomphe de cette vertu, leur muse et leur patronne, s’ils donnaient à sa rivale un peu plus de distinction et de charme, s’ils la rendaient un peu moins méconnaissable pour les vrais amoureux et les vrais poètes. Le salon où nous font entrer MM. Jules Barbier et Michel Carré est situé, à ce qu’il paraît, sur leur