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cument, volumineux comme le sont d’ordinaire les messages américains, ne contient qu’un passage qui ait quelque intérêt pour les Européens : c’est celui où il est question de la dernière expédition de Cuba. Le président flétrit comme elle le mérite cette invasion de pirates et cette atteinte au droit des gens ; il engage le congrès à prendre dés mesures pour que de pareils attentats ne se reproduisent plus. Le blâme est mérité, et l’Europe doit savoir gré au président Fillmore de l’avoir si énergiquement exprimé ; mais il a été très bien remarqué que, si le gouvernement eût mis le même soin à prévenir cette expédition qu’il a mis à la blâmer, le sang de quelques centaines d’Américains eût été épargné, et les lamentables tragédies qui ont terminé cette aventure n’auraient pas eu lieu. La chambre des représentans a nommé son speaker ; les démocrates l’ont emporté, et ont élevé à la présidence M. Lynn Boyd, du Kentucky. Si l’on en croit les présages avant-coureurs, les affaires vont prochainement passer entre les mains des démocrates, qui ont incontestablement l’avantage sur les whigs, aujourd’hui désunis, divisés et fatigués. Les chefs les plus honorés des whigs sont tous épuisés par leurs longues luttes ; la santé de l’illustre Henri Clay ne laisse plus que peu d’espoir ; ni M. Webster, ni le général Scott, dit-on, ne seront portés à la prochaine présidence : les chances aujourd’hui, du côté des whigs, semblent se tourner du côté du président actuel, M. Millard Fillmore.

Quant au congrès, la session qui va s’ouvrir pour lui sera certainement importante ; maintenant il a mis fin aux agitations politiques, et il a repoussé d’assez mauvaise humeur une imprudente proposition de M. Foote, qui, sous prétexte de déclarer que les mesures du compromis étaient définitives et qu’il n’y avait pas à y revenir, allait réveiller toutes les passions qu’on avait eu tant de peine à éteindre. La session actuelle sera probablement, à moins d’incidens imprévus, une question d’affaires, et par ce mot il ne faut pas entendre les idées mesquines et sans intérêt qu’il réveille chez nous, mais des entreprises gigantesques. Voici le programme de la session ; jugez-en. Le congrès aura à s’occuper d’un projet de chemin de fer allant du Missouri à San-Francisco, d’une ligne de bateaux à vapeur allant de San-Francisco à la Chine, de l’établissement d’un hôtel des monnaies en Californie. Le programme, on le voit, est magnifique et digne en tous points de l’esprit d’entreprises de ce peuple à l’énergie infatigable, qui réalise à la lettre les fables d’Hercule, le dompteur de monstres, et qui dépasse, dans la simple sphère de l’utile, le courage et l’intrépidité que les autres peuples avaient toujours réservés pour la sphère des choses purement morales.

É. MONTÉGUT.


C’est chose instructive et piquante, après chaque crise, de jeter un coup d’œil autour de soi, d’inventorier la situation littéraire au moment même de ce rapide passage d’un état qui n’est plus à un état qui n’est pas encore. Une littérature ainsi éveillée en sursaut offre de curieux aspects, assez semblables à celui qu’offrirait une ville où quelque grande nouvelle matinale attirerait tout à-coup les habitans aux fenêtres avant l’heure où il est d’usage de se montrer. Il y a là, dans cette transition fugitive, de singuliers contrastes entre la mobilité de l’opinion et du goût public, entraînés ou transformés par la puissance des événemens, et la persistance de certaines habitudes littéraires,