Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 13.djvu/181

Cette page a été validée par deux contributeurs.

côté-là… On ne fait rien à Paris que par les femmes. Ce sont comme des courbes dont les sages sont les asymptotes. Ils s’en approchent sans cesse, mais n’y touchent jamais. »

Ce père Castel, qui donnait à Jean-Jacques Rousseau un conseil d’homme du monde en langage scientifique, était un jésuite de beaucoup d’esprit, à la fois géomètre et philosophe, mais un esprit singulier, ayant des idées grandes ou ingénieuses, parfois chimériques, jamais paradoxales, souvent fort contraires aux idées de son temps, mais qui ne s’en inquiétait pas et qui ne s’en enorgueillissait pas non plus. Le père Castel était plein de saillies et de fantaisies, et nous pourrons, chemin passant, comparer quelques-unes de ses réflexions avec les pensées de Rousseau, soit qu’elles s’en éloignent, soit qu’elles s’en rapprochent, parce que je ne puis pas croire que la pétulance et la hardiesse d’esprit du père Castel n’aient pas eu quelque influence sur Jean-Jacques Rousseau. Sous les auspices du père Castel, Rousseau se décida à voir quelques dames du monde, et il tomba amoureux de Mme Dupin, femme d’un fermier-général, fort belle et fort honnête personne. N’osant parler, il écrivit ; sa lettre le fit éconduire. Bref, comme il était à bout de ressources, on lui offrit d’être secrétaire du comte de Montaigu, qui venait d’être nommé ambassadeur à Venise. Il accepta avec 1,000 francs d’appointemens, et le voilà quasi-secrétaire d’ambassade à Venise, où il n’y avait rien à faire, sous un ambassadeur qui ne savait rien faire. Rousseau prétend pourtant qu’il fit quelque chose d’un pareil emploi, et qu’un avis, qu’il fit passer à temps, pendant la guerre de 1743, à M. le marquis de l’Hôpital, ambassadeur de France à Naples, empêcha la révolte des Abruzzes. « Ainsi, dit-il, c’est peut-être à ce pauvre Jean-Jacques, si bafoué, que la maison de Bourbon doit la conservation du royaume de Naples. » Le service qu’il venait de rendre à la maison de Bourbon manqua de le brouiller avec le comte de Montaigu, qui devint jaloux de son secrétaire. Une première brouille réconciliée en amena une seconde, qui devint irréconciliable, et bientôt, en 1744, Rousseau quitta M. de Montaigu et revint à Paris se plaindre de son ambassadeur. Comme l’ambassadeur était un sot et connu pour tel, on écouta volontiers Rousseau, qui le disait ; mais on s’en tint là, et les griefs de Rousseau contre M. de Montaigu aidèrent à faire rappeler l’ambassadeur, sans qu’on fît du reste rien pour le secrétaire.

De retour à Paris, Rousseau revit ses protecteurs, devenus un peu plus froids par l’absence d’abord et par le mauvais succès du premier emploi. Les protecteurs n’aiment pas à protéger deux fois la même personne. Parmi ces protecteurs était le duc de Richelieu, qui, en 1745, eut besoin de quelqu’un qui fût un peu musicien et un peu poète pour