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JEAN-JACQUES ROUSSEAU
Sa Vie et ses Ouvrages[1]



Un grand combat s’est engagé dans le domaine de la morale et de la politique entre l’individu et un pouvoir nouveau et absolu qu’on appelle l’état. Je veux rechercher d’où vient cette doctrine nouvelle de l’état absolu et tout-puissant, ce mépris insolent de l’individu, cet asservissement de la liberté de chacun de nous, ce système enfin qui glorifie le tout et qui déshonore la partie. Parmi les défenseurs de cette doctrine au XVIIIe siècle, je trouve Jean-Jacques Rousseau, et c’est à lui que je m’arrête pour examiner dans ses ouvrages quelle est l’origine de la théorie nouvelle et pour en comprendre la portée. Jean-Jacques Rousseau a cela de curieux, que personne dans sa vie et dans ses ouvrages n’a élevé si haut les droits de l’individu, et que personne non plus dans ses ouvrages ne les a si hardiment contestés et opprimés. Personne n’a eu un moi si rebelle et si impérieux à la fois ; personne enfin n’a été en même temps plus factieux et plus dictateur.

Lorsqu’on étudie avec attention la vie de Jean-Jacques Rousseau, on est frappé de la dissonance et du désaccord perpétuel qu’il y a entre lui et son siècle. Une comparaison toute naturelle fera comprendre ma pensée. Voyez Voltaire : jamais génie ne fut si ardent et si téméraire ; mais, à côté de cette témérité de son génie, quelle régularité de vie !

  1. M. Saint-Marc Girardin a fait pendant trois ans, à la Sorbonne, depuis 1848, un cours sur la vie et les ouvrages de Jean-Jacques Rousseau. Le résumé de ce cours, que nous présentons aux lecteurs de la Revue, formera une série d’articles.