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une seule fois dans sa vie de pareils talens, il est difficile de se prêter à l’enthousiasme qu’excitent de nos jours tant d’artistes médiocres.

La vie de Mme Grassini a été une vie d’enchantement. Jeune, belle, passionnée et douée des plus grands artifices que puisse posséder une femme, Mme Grassini a traversé la vie comme un rêve de bonheur. Les puissans de la terre se disputaient au poids de l’or un regard de ses beaux yeux, un sourire de sa bouche charmante. Ses conquêtes ont été au moins aussi nombreuses et plus durables que celles de l’homme dont elle eut les bonnes graces et charma les loisirs. Née, dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, près de Milan, dans ce beau pays de la Lombardie dont la terre forte et féconde communique à ses enfans une sève généreuse, Mme Grassini, ainsi que Mme Pasta, sa compatriote, et Mlle Grisi, sa nièce, fut essentiellement une cantatrice dramatique. Plus tendre que spirituelle et plus riche d’instinct que de véritables connaissances, elle chantait, comme le soleil rayonne, pour manifester la vie qui était en elle, sans avoir conscience de l’effet produit, s’endormant ensuite comme l’oiseau, qui n’est éloquent que pendant la courte saison des amours. À voir cette belle tête pleine de lumière, qui reposait sur de magnifiques épaules largement dessinées comme celles de Mlle Grisi, et dont la peau, fine, grasse et blanche, se colorait de la pourpre de la vie, on aurait dit la Joconde de Léonard de Vinci, ce type de la femme lombarde qu’on peut admirer à notre galerie du Louvre. Se figure-t-on Mme Grassini, sous le costume de Giulietta, à côté de Crescentini dans le chef-d’œuvre de Zingarelli ! Cette musique simple, mais faiblement écrite, paraissait une œuvre de génie interprétée par de tels virtuoses. Je me la représente dans ce rôle où elle parut dans tout l’éclat de la jeunesse, et qui a été sa meilleure création, chantant avec Crescentini le duo charmant :

Dunque mio bene
Tu mia sarai ?


et lui répondant d’une voix tremblante d’émotion :

Si, cora speme
Io tua sarò.


Ah ! que nous sommes loin de ces temps heureux !

Mme Grassini, qui a été l’une des dernières et grandes cantatrices du siècle passé, est restée étrangère à la musique de Rossini aussi bien que Mme Catalani. Avec Crescentini, son camarade et son maître, Mme Grassini appartient à cette génération de virtuoses qui s’est produite entre Cimarosa et l’auteur de Tancrède et du Barbier de Séville. Il existe un