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résigner, il le moralise et l’élève. Tantôt, pour l’arracher aux misères présentes, il lui ouvre comme un refuge le sanctuaire de l’antique foi ; il allume les candélabres du tabernacle, il redouble pour les croyans les enivrantes exaltations des jours saints ; il entonne le chant de noces de la princesse Sabbath et du prince d’Israël, ce mystique chant d’hyménée que composa en Espagne, il y a sept cents ans, le grand poète juif du moyen-âge, Jehuda ben Ra-Levy ; tantôt, par une inspiration profonde et avec un art plein de charme, il semble l’introduire peu à peu dans le christianisme en l’accoutumant aux plus purs sentimens de la loi nouvelle, à la patience, à la douceur, au pardon des injures. De là le double aspect de ses tableaux : d’un côté, ce sont de vrais juifs, des physionomies rudement accentuées, de fanatiques et inflexibles natures, chez qui la vertu même a je ne sais quoi de barbare, de l’autre, on aperçoit des figures éclairées des douces lueurs de la grace, des héroïnes de charité et de sacrifice, dignes de tenir leur place dans quelque sainte légende du moyen-âge chrétien.

La première histoire du volume, celle que l’auteur intitule la Seconde Judith, est une des peintures où les mœurs juives sont reproduites dans toute leur crudité hardie. Est-il rien de plus éloigné de nos mœurs, rien qui marque plus vigoureusement le caractère farouche d’une race exaltée ? La scène se passe en 1809, pendant l’invasion de Napoléon en Autriche ; les Français occupent les routes et les villes de la Bohême. Tout le pays tremble devant ces soldats qui, depuis les pyramides jusqu’à Berlin, ont vaincu les plus redoutables armées du monde. Un seul homme semble ne rien craindre, c’est un habitant du Ghetto de Presbourg, un petit colporteur nommé Leb-le-Rouge. Envoyé naguère à Schoenbrunn avec je ne sais quelle députation de sa commune, Leb-le-Rouge a eu l’insigne honneur de parler à l’empereur d’Autriche ; depuis ce moment, son patriotisme s’est transformé en, un mystique enthousiasme. Voyez-le, le jour même où se livre la bataille de Wagram, courant de côté et d’autre dans les rues du Ghetto et demandant tout effaré si personne n’a reçu de nouvelles ; de temps en temps, il s’arrête, et des versets des psaumes de David s’échappent de ses lèvres. L’instinct cupide du Juif trouve aussi son compte au milieu des émotions ardentes du patriote. Leb a conçu un projet qui peut servir la cause de l’Autriche sans que ses petits intérêts y perdent rien. Il a résolu d’aller la nuit sur les champs de bataille, de ramasser tout ce qu’il pourra, armes, vêtemens, munitions, et de porter ce bagage au quartier-général, où la pénurie est extrême. On le paiera bien, sans doute ; ce n’est pas pourtant le seul espoir du gain qui le fait agir : l’ardeur du patriotisme et le sentiment de l’intérêt se combinent ici de telle façon qu’il serait difficile de faire exactement les parts.

Pour réaliser son plan d’une manière fructueuse, Leb-le-Rouge a