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artistes exposèrent cinq cent vingt morceaux ; sous l’empire, cinq cent trente-trois exposans envoyèrent treize cent vingt-neuf ouvrages de peinture et de sculpture au Salon de 1810. Or, M. Delécluze prouve d’une manière assez péremptoire que, si de 1673 à 1810 le nombre des artistes exposans a varié de cinquante à cinq cent vingt-trois, le nombre des artistes appartenant à chacune de ces deux époques qui sont restés célèbres n’a peut-être pas varié de deux unités. Ce premier résultat nous paraît d’autant moins contestable, que parmi les célébrités de 1810 m M. Lelécluze comprend des hommes d’un mérite fort secondaire et qui ne nous paraissent pas devoir fournir une très longue traite dans leur route vers la postérité. De 1810 à 1850, le nombre des artistes exposans a presque triplé ; M. Delécluze paraît croire néanmoins que celui des artistes d’un vrai mérite dépasserait peu la moyenne de 21, qu’il a trouvée en 1810 comme en 1673. Quelque nombreux que soient les producteurs, quelque multipliées que soient leurs œuvres, le nombre des hommes éminens qui possèdent le véritable génie de leur art resterait donc toujours le même pour chaque génération.

Sans nous inscrire en faux d’une manière absolue contre cette conclusion bizarre, nous croyons cependant qu’on peut en contester la rigoureuse exactitude. Les arts du dessin se sont sans aucun doute singulièrement vulgarisés, et le nombre des hommes qui les cultivent sans vocation et sans étude s’est accru dans une déplorable proportion. Néanmoins, depuis 1810, époque à laquelle M. Delécluze a dû forcément prendre son dernier terme de comparaison, — et encore sommes-nous bien la postérité pour les hommes de 1810 ? — nous devons reconnaître qu’une grande et complète révolution s’est accomplie dans le domaine des arts. Cette révolution s’est faite, comme toujours, au cri de liberté ; auquel on a bizarrement accolé le mot de réalité ; elle a dû provoquer bien des écarts, bien des folies, et nous venons tout à l’heure de signaler une de ses plus fâcheuses conséquences : toujours est-il néanmoins que beaucoup d’hommes de talent ont su se dégager de certaines routines sans s’affranchir des règles, et que beaucoup d’autres, parmi les paysagistes surtout et les peintres de genre, sont revenus à une interprétation de la nature plus rigoureuse et plus intelligente. L’analogue de ce qui s’est passé à Venise et dans les Flandres doit donc se retrouver aujourd’hui chez nous. Que de peintres renommés et dont les ouvrages ont conservé une valeur inestimable, les Flandres n’ont-elles pas produits ! C’est un art moins élevé, sans doute, que l’art romain, florentin ou lombard ; c’est cependant un art complet, et dont les productions, pour être moins relevées et plus modestes, n’en ont pas moins leur prix et leur charme. La nature nous offre des analogies semblables : la violette et le myosotis ont leur couleur et leur parfum comme le magnolia et la rose.