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de chaque jour, c’est suivre à peu près la même inspiration que ces écrivains passionnés, érudits ou poètes, dont les travaux ont ressuscité des langues éteintes et réuni sur le sol natal des tribus dispersées. Ce qu’ont fait M. le comte Léo Thun en Bohème, M. Louis Gaj en Illyrie, M. Henri Conscience dans les Flandres, c’est ce qu’ont fait aussi, d’une manière assurément moins directe, mais avec nue pensée analogue au fond, M. Berthold Auerbach pour les habitans de la forêt Noire, Mme Sand pour les paysans du Berri, et surtout M. Jérémie Gotthelf pour les rustiques populations du canton de Berne. À ce point de vue, et lors même qu’une certaine adulation démocratique se glisserait dans ces récits populaires, lors même qu’ils ne brilleraient pas tous, comme les peintures de M. Gotthelf, par la sincérité la plus vraie, il faudrait applaudir néanmoins à la direction morale dont le roman rustique est manifestement le produit. Un tel genre, sans doute, peut présenter de graves dangers : cette littérature a besoin d’être surveillée avec zèle et jugée sans complaisance ; mais, si l’inspiration en est honnête, combien ne doit-elle pas devenir salutaire et féconde ! Ces sortes d’ouvrages, si l’on y regarde de près, acquièrent un intérêt historique en même temps qu’ils charment l’imagination ; le sujet s’agrandit et s’élève ; la réalité apparaît sous la fiction ; on croit entendre ces bourgeois de Laon ou de Vézelay, qui, dans l’irrégulière société du moyen-âge, sonnant le beffroi de la ville, appelaient tous les enfans de la commune à la défense du foyer.

Or, si ce ne sont pas seulement les paysans d’une contrée spéciale que l’auteur se propose de peindre, s’il faut ajouter au caractère particulier des lieux la différence des nationalités et des cultes, s’il s’agit des paysans juifs, par exemple, et de leur vie si originale au milieu des populations chrétiennes de l’Autriche, le rapport que je viens d’indiquer entre le roman populaire et les insurrections de race ne devient-il pas plus évident encore ? Parmi les écrivains qui ont contribué dans ces derniers temps au succès de cette littérature rustique, il y a une place des plus honorables pour un conteur autrichien, M. Léopold Kompert, dont les tableaux nous font pénétrer avec un grand charme de vérité et de poésie chez les pauvres Juifs de la Bohême. La littérature juive en Allemagne a joué depuis un siècle un rôle considérable. De Mendelssohn à Henri Heine, il y a en chez nos voisins toute une succession de talens supérieurs qui ont marqué leur passage avec éclat et laissé des traces profondes dans les lettres germaniques. On sait que les Juifs d’Europe se divisent en deux grandes familles, Juifs allemands, Juifs portugais, et que ces derniers, pendant tout le moyen-âge, se considérant comme une tribu supérieure, ne témoignaient qu’indifférence et mépris à leurs frères des contrées allemandes : tout est bien changé aujourd’hui. C’est de l’Allemagne que sont sortis les représentans les plus illustres dont puisse s’enorgueillir l’audacieuse