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personne et pouvait suffire au succès. Par malheur, dès que nous entrons dans le sujet même, dès que nous retrouvons, sous ces ombrages vert-pomme, les vrais personnages du répertoire italien, nous voilà désorientés. Où sommes-nous ? Dans le Berry ou aux portes de Bergame ? Quel est ce langage ? Du berrichon retrouvé par Mme Sand, ou du vénitien de Casanova ? Où finit la réalité ? où commence le caprice ? Ce Pandolphe est-il un docteur de comédie ou un avocat de cour d’assises ? Ce Pascariel, un aïeul des premiers, Crispins ou un descendant des derniers Robert-Macaires ? Cette Colombine, une soubrette matoise, fille de Lisette, ou une suivante primitive, mère de Frosine et de Nérine ? Tout cela n’est ni assez fantastique, ni assez réel, ni assez fou, ni assez raisonnable, ni assez vieux, ni assez moderne. Si complaisant que soit le spectateur, il lui est impossible de s’abandonner un seul instant à cette gaieté factice et forcée, qui s’agite et se démène dans le vide. Léandre a beau se cambrer et prendre des poses de matamore ; Pascariel a beau faire parade de ses friponneries et de ses prouesses : on ne rit pas, et l’on éprouve au contraire ce genre de souffrance qui consiste à se sentir invinciblement triste devant un effet d’hilarité. Maintenant, à ces hésitations, à ces anxiétés permanentes, à ce manque absolu de parti-pris, à ce lamentable débat entre un auteur qui veut faire rire et un public qui s’obstine à rester sérieux, ajoutez une succession d’entrées et de sorties que rien n’explique, et vous comprendrez aisément cet échec que rien ne pouvait conjurer, ni le zèle maladroit des amis, ni même une de ces préfaces posthumes où, de temps immémorial, les auteurs maltraités exhalent leur mauvaise humeur en récriminations tardives contre l’ignorance de la critique ou du public.

Si nous sommes disposé à trouver presque rigoureux cet arrêt unanime porté contre les Vacances de Pandolphe, que dirons-nous en revanche du nouveau drame de M. Gozlan ? Il serait assurément injuste de nier les qualités de cet esprit bizarre, ami de l’éblouissement et de l’imprévu. Toutefois, en s’obstinant à écrire pour le théâtre, M. Gozlan méconnaît les intérêts de sa renommée et les aptitudes de son talent. Il peut exceller dans le détail et la ciselure, couvrir de paillettes un paradoxe plus ou moins brillant qu’accepte ensuite tant bien que mal le lecteur blasé ou bénévole ; mais le théâtre ! le théâtre qui ne vit que de vérité, de bon sens, de communication prompte et directe avec la foule, et où la première condition de réussite pour un écrivain est de faire si bien vibrer ses sentimens et ses pensées dans l’aine des spectateurs, qu’ils s’imaginent penser et sentir avec lui ! Passé à l’état de système, le paradoxe supprime, pote ceux qui s’y complaisent, toutes ces régions intermédiaires, tous ces points de contact par lesquels l’auteur dramatique a prise sur son auditoire : il les maintient dans une sorte d’isolement cellulaire, c’est-à-dire dans l’état le plus défavorable à cette entente rapide, à ces échanges magnétiques, à cette assimilation soudaine de mille esprits dans un seul, élémens nécessaires de tout succès de théâtre. Et puis, qu’arrive-t-il ? Lorsque ces habitués du paradoxe, cédant aux exigences de leur tâche, essaient de se rapprocher du public pour lequel ils écrivent, ils ne connaissent plus ni proportions, ni distance, ni mesure ; ils passent du sophisme à la banalité. D’impossibles et de faux qu’ils étaient, ils voudraient devenir vrais : ils ne deviennent que vulgaires.

Ce serait, en effet, faire trop d’honneur aux Cinq minutes du Commandeur que d’y voir une œuvre paradoxale : c’est tout simplement un gros mélodrame