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avons entendu le treizième et le seizième de ces quatuors mystérieux, et nous pouvons assurer qu’il serait difficile de pousser plus loin la précision, la justesse et l’énergie dans l’exécution de la musique de chambre. L’impression qui nous est restée, et dont nous ne voulons pas exagérer l’importance, c’est que les derniers quatuors de Beethoven sont des compositions singulières, qui renferment des parties excellentes à côté des plus étranges bizarreries. Le début du seizième quatuor, par exemple, est pénible, obscur ; l’idée flotte incertaine, sans contours saisissables, On dirait un de ces madrigaux du XVIe siècle écrits en contrepoint fleuri, suite d’imitations sans repos qui poursuivent leur cours jusqu’à la cadence finale, qui seule apporte à l’oreille haletante la sécurité désirée. Mais, après ce début laborieux, qui semble le prélude d’un génie qui se cherche, Beethoven éclate avec une fougue incroyable, et alors il ouvre vraiment la porte d’un monde nouveau. Les parties excellentes de ces quatuors ne ressemblent à rien de ce qu’on connaît : c’est un caprice, une fantaisie, une indépendance sans limites. Chacun des quatre instrumens travaille autant que le premier violon ; il s’établit entre eux des dialogues remplis d’humour et de choses imprévues. Chacun parle, rit, pleure et fait des lazzi de basse comédie. Il y a de tout dans ces étranges compositions, qu’on ne saurait mieux comparer qu’à un drame de Shakspeare.

Un violoniste de beaucoup de mérite, M. Léonard, professeur au conservatoire de Bruxelles, adonné un concert où if a fait entendre plusieurs morceaux de sa composition. M. Léonard possède une bonne qualité de son, un style élégant, de la bravoure dans l’archet, une justesse parfaite et des idées ingénieuses, qu’il sait disposer avec goût. Un autre artiste belge, M. Lemmens, professeur d’orgue au conservatoire de Bruxelles, a voulu aussi que la critique parisienne portât un jugement et sur l’ensemble de ses compositions et sur la manière dont il les interprète à l’aide du plus magnifique instrument qui soit sorti de la main des hommes. M. Lemmens a donc convié les juges compétens dans la charmante église de Saint-Vincent-de-Paul, où, pendant deux heures, il a fait résonner sous ses mains savantes l’orgue admirable qui a été construit par M. Cavaillé. M. Lemmens est un artiste de grand mérite, harmoniste consommé, contre-pointiste habile. Il connaît toutes les ressources de l’orgue dont il manie et combine les différens jeux avec une sûreté de goût et une élévation de style qui rappelle les grands maîtres. La manière surtout dont M. Lemmens fait mouvoir le clavier des pédales et les effets grandioses qu’il en tire ont frappé les connaisseurs, qui n’ont pas hésité à reconnaître dans M. Lemmens l’un des meilleurs organistes qu’il y ait aujourd’hui en Europe, et les organistes n’y sont pas nombreux.

Un pianiste distingué qui brillait, il y a une trentaine d’années, de tout l’éclat de la jeunesse, M. H. Herz, a fait sa rentrée dans le monde parisien par un concert où il a exécuté plusieurs morceaux connus de sa composition. Après une absence de plusieurs années qu’il a employée à parcourir le Nouveau-Monde, M. Henri Herz est revenu en Europe sans qu’on se soit aperçu que les émotions du voyage aient donné, à son talent une physionomie nouvelle. C’est toujours le pianiste facile et un peu froid qu’on admirait pendant les dernières années de la restauration. M. Ernst, l’un des deux ou trois violonistes célèbres qui se disputent depuis une quinzaine d’années l’héritage de Paganini, a fait