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jusqu’à se féliciter, après coup, de ses propres défaites, et, d’autre part, à un calcul de la nouvelle majorité, qui ne croit pas encore opportun de lever le masque. Le principal organe de ce ministérialisme d’occasion en a déjà laissé échapper l’aveu. « Notre abnégation, disait dernièrement la Revoluçao, notre abnégation actuelle n’est ni défiance de nos forces, ni manque de patriotisme, ni sentiment d’une nécessité ; c’est intelligence de la situation, c’est tact politique, c’est confiance dans nos destinées, c’est souplesse gouvernementale (flexibilitade estadistica). » - Voilà qui est clair et même un peu naïf. Non contens d’avoir montré, par le dénombrement de leurs forces, ce qu’ils peuvent, les septembristes avouent ce qu’ils veulent. Saldanha ne reste aux affaires que par leur bon plaisir, et leur adhésion aux remords monarchiques du majordome révolté de dona Maria n’est qu’une tactique, un acheminement vers l’accomplissement de leurs « destinées, » un moyen de le supplanter au profit de la révolution.

Et de fait, cette même palinodie qui a mis à leur service l’action électorale du pouvoir, et à laquelle ils doivent le rôle de la majorité, lève aussi le seul obstacle diplomatique qui pût désormais leur interdire le rôle de gouvernement. Nous voulons parler de la menace d’intervention qu’avait faite l’Angle terre pour le cas où Saldanha serait renversé par le radicalisme. Les radicaux déguisés en royalistes, voire en rétrogrades, et poussés à la chambre par le protégé même du Foreign-Office, n’échappent-ils pas à ce veto ? Ils l’espèrent du moins, et nous croyons savoir de bonne source que, dans les conciliabules électoraux des révolutionnaires, cette perspective fut le motif le plus déterminant de leur feinte abjuration. La chute de lord Palmerston, l’avènement d’hommes beaucoup plus difficiles que lui en fait d’alliances politiques, ont dû quelque peu dérouter ce calcul ; mais les septembristes en seront quittes pour jouer un peu plus long-temps leur comédie réactionnaire, et de là vient sans doute l’impudente approbation qu’ils donnent aux dispositions les plus illibérales de l’acte additionnel. Les septembristes ont d’ailleurs un puissant auxiliaire auprès du Foreign-Office : c’est la Cité de Londres, qu’a fort indisposée le décret financier de Saldanha. Ils se mettent déjà en mesure de recueillir, à un moment donné, le bénéfice de cette diversion. Oubliant ou feignant d’oublier que le décret dont il s’agit n’est que l’application et l’application fort timide de leurs théories sur le capital, la plupart des journaux révolutionnaires ne mettent pas moins d’ardeur que la presse chartiste à défendre les droits des créanciers spoliés.

Une seule chose peut sauver Saldanha de la trahison qui le menace et identifier l’intérêt des septembristes avec le sien : c’est la présence de l’ennemi commun, c’est la rentrée du comte de Thomar dans l’arène parlementaire. Le parti chartiste, qui a déjà pour auxiliaires d’innombrables mécontentemens, va nécessairement reprendre, sous l’habile impulsion de son chef, la direction morale de l’opinion, et les meneurs septembristes, éclairés par l’expérience de deux situations analogues, seront peut-être assez prudens cette fois pour éviter une crise qui mettrait ce dangereux adversaire en évidence. Saldanha renversé, la reine n’aurait, en effet, à choisir qu’entre une combinaison Passos et une combinaison Costa-Cabral, entre le septembrisme pur et le chartisme pur, entre les ennemis nés de la couronne et ses alliés naturels, entre une majorité