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ne convertit personne ! Mais, voyez la merveille, au contraire, c’est lui qui se convertit ! Ce livre repose-t-il sur une donnée réelle ? Est-ce une fiction que ce missionnaire républicain qui va se faire battre sur les questions de liberté par un prince russe et un moujick ? Dans tous les cas, il a un côté curieux qui n’est point peut-être celui que l’auteur pense, et ce côté curieux, c’est le fait même d’un honnête démocrate que ne peuvent ni persuader, ni satisfaire les conditions libérales et douces d’un régime comme celui sous lequel s’abritait la France avant février, et qui ne laisse point que de revenir à des sentimens meilleurs au spectacle de l’autocratie tsarienne. C’est le propre d’un certain genre de radicalisme politique de préparer souvent à ces conversions et à ces transitions les natures sur lesquelles il a exercé son active influence ; il les façonne à ne point redouter du tout les extrêmes et à ne point être trop difficiles sur la mesure du pouvoir après ne l’avoir point été sur la mesure de la liberté. On s’endort conventionnel et on se réveille comte de l’empire ; on disparaît un moment adepte du droit au travail, et on revient au jour candidat aux grandeurs nouvelles sous les constitutions autocratiques.

Au fond du livre de ce singulier missionnaire en Russie, il y a une erreur assez commune, et qui consiste à faire disparaître toutes les questions d’influences mutuelles entre les peuples sous les analogies des formes politiques. Sans doute, les analogies des formes politiques sont une considération puissante ; là où elles existent, elles sont un lien de plus entre les nations, un motif de sécurité de plus, si l’on veut, pour elles. Il se forme une solidarité naturelle qui aide singulièrement à la solution des questions internationales, qui les empêche même quelquefois de naître. Il ne faut pas s’y méprendre cependant les analogies politiques sont beaucoup, mais elles ne sont pas tout. À côté d’elles et au-dessus d’elles, il y a les traditions, les solidarités nationales, les intérêts permanens, les influences morales et intellectuelles, les besoins du commerce, qui ne peuvent suivre évidemment toutes les variations politiques, et qui subsistent comme la règle des relations des peuples. L’ascendant de la France en particulier a pu tenir assurément à son rôle politique, à l’initiative qu’elle a long-temps partagée avec l’Angleterre dans la pratique des institutions libres, et aux solidarités constitutionnelles qui s’étaient formées entre elle et d’autres pays. Cette solidarité a cessé : soit, nous ne sommes pas payés pour l’ignorer apparemment ; mais en résulte-t-il que tant d’autres raisons de légitime influence aient disparu ? Le pire ne serait-il pas encore de transformer les différences actuelles de formes politiques en cause permanente d’aigreur, d’antagonisme, de scissions, de conflits peut-être ? Serait-il sage de risquer les intérêts permanens qui peuvent unir les peuples pour la facile satisfaction de se montrer dissidens ?

C’est là, à vrai dire, ce qui dictait notre jugement de l’autre jour sur la Belgique, au sujet duquel on paraît se méprendre étrangement, et qui n’avait dans notre pensée rien d’hostile, rien surtout de mystérieux, comme on affecte de le croire à Bruxelles. Avons-nous contesté à la Belgique son droit de nation ? Avons-nous jeté de la défaveur sur ces institutions libres dont elle garde l’honneur ? Nous avons constaté une situation difficile, — difficile en elle-même et par les complications qu’on y joignait en imaginant la rendre meilleure. Ces complications, ce n’est pas nous qui les créons sans doute ; c’est assez de les remarquer et de les signaler quand elles sont là, en continuant à croire, bien