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des îles Aleutiennes, pourrait traverser l’Océan Pacifique en trente-huit jours. Il suffit, pour admettre la justesse de ce calcul, d’accorder aux paquebots américains la vitesse moyenne de cinquante-huit lieues par jour qu’atteignent les steamers anglais dans leur voyage de Suez à Hong-kong. Il n’est donc point douteux que, dans un avenir peu éloigné, l’Union américaine ne soit appelée à partager avec l’Angleterre la clientelle de l’empire chinois.

À côté de ces grands intérêts rivaux, les intérêts secondaires s’effacent. La Russie échange à Kiachta ses pelleteries contre les thés chinois ; les îles espagnoles, dans les années de disette, expédient quelques cargaisons de riz à Canton ou à Shang-hai. La Hollande y apporte les produits de ses colonies. D’autres pavillons n’apparaissent qu’accidentellement sur les côtes du Céleste Empire : ce sont les pavillons de la Prusse, du Portugal, du Danemark et des villes anséatiques.

Quant à la France, dont le commerce tient une place si considérable dans les échanges du monde, elle n’a point un rang supérieur à celui du moindre de ces états dans les relations commerciales de l’Europe avec la Chine. Ce n’est pas une situation que le gouvernement français ait acceptée sans avoir fait de louables efforts pour en sortir ; mais il est des obstacles contre lesquels tout le zèle de ses agens ne parviendra point à prévaloir. Les produits qui trouvent en Chine le placement le plus facile sont les produits bruts : nous n’en avons point à offrir. Le peu d’objets manufacturés que veuille accepter un peuple économe doivent se recommander avant tout par la modicité des prix, et c’est plutôt par la perfection, par la qualité supérieure de ses produits, que notre industrie se distingue. Le bon marché n’est point le but où nous tendons. Complètement effacée sous le rapport commercial, la France est donc réduite, dans le nord de la Chine aussi bien que dans les provinces méridionales, à un rôle d’observation ; mais on peut, — si quelque catastrophe ne vient déjouer tous les calculs de la prudence humaine, — prévoir le jour où la Chine, entrant dans le cercle de la politique générale, verra son existence placée, comme celle de l’empire ottoman, sous la protection des grandes lois d’équilibre qui régissent aujourd’hui le monde civilisé. La France, ce jour-là, se félicitera de n’être point restée étrangère aux affaires de l’extrême Orient, et d’y avoir développé avec d’autant plus de soin son influence morale, qu’elle avait dû renoncer à y asseoir sa politique sur le terrain des intérêts matériels.


E. JURIEN DE LA GRAVIERE.