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nos jeunes marins l’heureux effet qu’on eût pu se promettre d’un plus long séjour dans ce port. Nous pûmes juger cependant combien cette relâche pendant la majeure partie de l’année était préférable aux mouillages de Macao et de Canton. Le poisson, le gibier, les bestiaux y abondent et s’y vendent à vil prix[1]. Le froid qui règne à Shang-hai, l’air vif qu’on y respire du mois de novembre au mois de mai, réparent les forces énervées par le climat des tropiques. Tout semble donc attirer le commerce européen dans ce port, au détriment du port de Canton. Ces deux marchés ont conservé cependant jusqu’ici leur importance spéciale. Situés à deux cent soixante lieues l’un de l’autre, ils se partagent les produits de l’empire chinois. Les thés et surtout les thés noirs du Fo-kien continuent de se diriger sur Canton. Le commerce de la soie se concentre à Shang-hai. En 1849, ce dernier port expédiait en Europe ou aux États-Unis six fois moins de thé et deux fois plus de soie que le marché méridional. Si l’on n’envisageait pourtant que l’intérêt des manufactures britanniques et l’importation des produits européens, Shang-hai occuperait déjà le premier rang parmi les ports du Céleste Empire ; mais Canton est le marché de l’Inde. C’est dans ce dernier port que la présidence de Bombay expédie chaque année des cotons bruts pour une valeur de 25 millions de francs, tandis que les provinces du nord, qui cultivent le coton et le produisent à bas prix et en grande abondance, n’ont nul besoin de cotons importés.

Les ménagemens qu’exige l’intérêt agricole de l’Inde anglaise suffiront probablement pour empêcher le gouvernement de la Grande-Bretagne de tourner ses vues avec une ardeur exclusive vers le nord de la Chine. Les Américains ne sont point retenus par des considérations semblables, et c’est à Shang-hai bien plus qu’à Canton que leur commerce tend à se développer. La conquête de la Californie est à plus d’un titre un fait d’une portée immense. La possession de ce nouvel état n’a point seulement doté l’Union américaine de richesses métalliques qui semblent inépuisables : elle lui a aussi ouvert le chemin du Céleste Empire. Depuis quelques années, l’horizon de cette démocratie puissante s’est considérablement agrandi. Le regard se fatigue à en chercher les limites. Par la Californie, les états américains sont plus rapprochés de la Chine que ne l’est l’Égypte. Le port de Suez est à deux mille cent trente-deux lieues marines de Hong-kong ; celui de San-Francisco n’est qu’à mille neuf cent quarante-six lieues de Shang-hai. Un navire à vapeur, gagnant le nord de l’île de Vancouver et la plus occidentale

  1. La viande de boucherie coûtait 45 centimes le kilogramme. On achetait quatre faisans pour une piastre, et l’on pouvait voir chaque jour, suspendus dans la batterie, des chevreuils, des lièvres, des oies sauvages, des canards, des tourterelles, et surtout des faisans, si communs à Shang-hai, qu’on leur préfère les poulets et les dindons.