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sais combien de petits-enfans. Lo ne nous avait point trompés : notre présence avait eu en effet le don d’illuminer sa face amaigrie et ses yeux presque éteints. Il était radieux et montrait, pour nous accueillir, toute l’activité d’un jeune homme. Le Plutus chinois, devant lequel les païens brûlent tant de lingots de papier argenté et allument tant de bâtonnets, n’eût pu se montrer plus libéral pour Lo-tsuen que le Dieu des chrétiens, au nom duquel on ne demandait au vieux négociant qu’un coeur droit et une foi simple. Les affaires de l’honnête Lo avaient constamment prospéré depuis que le traité de Wam-poa avait mis un terme aux persécutions si long-temps dirigées contre les chrétiens du Céleste Empire. Ses jonques n’étaient point tombées entre les mains des pirates, ses soieries s’étaient bien vendues à Tien-tsin, ses débiteurs l’avaient régulièrement payé, ses fils n’allaient point dans les jardins de thé ou sur les bateaux de fleurs jeter les dés et fumer l’opium ; l’abondance et la paix régnaient dans sa maison. Cette calme félicité était faite pour gagner à la cause de l’Évangile de nombreux prosélytes, car les Chinois, il faut bien l’avouer, De comprennent guère le Dieu qui éprouve ses fidèles et ne se sentent aucun goût pour les châtimens miséricordieux qui dépassent leur intelligence.

Dans la demeure de Lo-tsuen, la plus belle pièce de la maison avait été érigée en chapelle. Le père Maistre, des missions étrangères, la tête coiffée du zi-kin, barette de soie noire brodée d’or, y célébra la messe, qui fut servie par le fils aîné de la maison et à laquelle nous voulûmes tous assister. Après la messe, on nous introduisit dans le salon. Une première collation nous y attendait. C’est dans cet appartement que nous trouvâmes les brus chéries de Lo-tsuen, vêtues de leurs plus belles pelisses et coiffées de leurs plus belles fleurs. On m’a souvent demandé, depuis mon retour en France, si les femmes chinoises étaient jolies. Je ne me flatte point d’avoir vu ce que le type mongol peut offrir de plus séduisant, mais je dois déclarer ici que toutes les femmes chinoises que j’ai pu voir en Chine ne répondaient nullement à l’idée que je me suis toujours faite de la beauté. Si les peintres chinois ont défiguré leurs mandarins par un embonpoint ridicule, je crains bien que leur pinceau n’ait, au contraire, prêté des charmes fabuleux au sexe le plus faible et le plus dangereux du Céleste Empire. Les peintres cependant ne sont pas en Chine les seuls flatteurs de cette puissance occulte : les poètes brûlent aussi sur ses autels un encens non moins menteur peut-être. Il n’est point de beautés dont le teint ne rappelle dans leurs vers la fleur du pêcher, dont les lèvres n’aient l’incarnat du whampi. Je ne sais trop quelles métaphores les deux belles-filles du vieux Lo-tsuen eussent pu inspirer à un poète chinois ; mais je les aurais volontiers comparées pour ma part à la pâle Phébé, telle qu’elle se montre à nous quand elle fait briller son premier croissant