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Si la Suède pouvait citer actuellement beaucoup de poètes comme MM. Runeberg et Malmström, et si la lecture de leurs poésies était assez généralement répandue pour dominer et diriger le goût littéraire et les travaux de leurs compatriotes, nous ne serions point inquiet de l’avenir intellectuel de ce pays ; mais on ne retrouve pas, dans le groupe de conteurs agréables et d’œuvres un peu frivoles qu’on a vu s’y produire depuis quelques années, la vive expression du génie national qui avait été l’honneur des poètes de l’école gothique. Ce sont d’ailleurs, parmi la population suédoise, surtout dans les villes, bien d’autres lectures et d’autres œuvres qu’on affectionne. La Suède, il faut l’avouer, est en proie à la mauvaise littérature. Des libraires traducteurs livrent au public de Stockholm, habillés d’une mauvaise prose suédoise, nos plus détestables romans. Les Mystères de Paris et le Juif Errant, ou bien les cyniques productions de Pigault-Lebrun, voilà trop souvent le fonds des lectures suédoises ; les plus inconnus, les plus éphémères de nos vaudevilles, fanés, aplatis, défigurés, voilà le répertoire ordinaire des théâtres de Djurgard et de Humlegard à Stockholm. Les Suédois lisent et parlent facilement le français ; c’est une habitude que leur ont léguée les règnes de Gustave III et de Charles-Jean, et nos bons livres conserveront sans doute pendant long-temps à notre langue la popularité dont elle jouit en Suède ; mais l’honnête industrie de la contrefaçon belge, aidée par l’exploitation de quelques libraires suédois, répand dans ce pays à je ne sais quel prix et avec je ne sais quelle honteuse orthographe ce que nous imprimons ici de plus mauvais. Il faut remercier, au nom de la Suède même, M. Bergstedt, professeur de l’université d’Upsal, et directeur du seul recueil purement littéraire qui paraisse dans le Nord[1], d’avoir flagellé récemment, dans quelques pages vigoureuses sur la mauvaise littérature (Om den usla litteraturen), les auteurs et surtout les éditeurs de ces détestables publications. Parmi les auteurs, il en est que M. Bergstedt épargne volontiers, car c’est le besoin et la misère qui leur ont mis la plume à la main ; mais l’éditeur cupide a tout son mépris. C’est l’éditeur qui est coupable d’une mauvaise publication ; le plus souvent il l’a commandée lui-même dans l’espoir d’un gain honteux. Il est juste qu’il recueille avec l’argent la réprobation publique. Un éditeur vraiment éclairé rend au contraire à son pays autant de services que l’écrivain sérieux qu’il encourage ; quand on prononce le nom de Walter Scott, on pense à Constable, et M. Bergstedt cite avec reconnaissance, nous aimons nous-même à citer après lui les noms des deux principaux éditeurs de la Suède, de M. Häggström, qui, pendant presque toute sa carrière, a voulu imprimer chaque année à perte un bon ouvrage, quelquefois deux, et de

  1. Tidskrift for Litteratur, utgifven af C. F. Bergsted, Upsal et Stokholm, in 8°.