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par un obscur corridor. Les solives du toit formaient en s’inclinant le plafond de cette nouvelle pièce ; un double pilier qui, suivant la coutume chinoise, soutenait le faîte, sujet à fléchir, occupait avec un poêle de fonte le centre de l’appartement. Le vernis de Ning-po avait donné l’éclat d’une laque brune à ces charpentes grossières. Ce cadre indigène était en harmonie parfaite avec les meubles incrustés du Che-kiang, les bronzes de Nan-king, les porcelaines de Sou-tcheou-fou, rassemblés dans cet étroit espace. Le salon de M. Alcock, dans sa pittoresque étrangeté, eût mérité de figurer à l’exposition de Londres. Pour nous, c’était tout un musée à étudier, non pas un musée composé de cette banale pacotille de Canton faite pour séduire le touriste inexpérimenté, mais un musée tout rempli de coffrets précieux, de morceaux vénérables, de curieuses reliques contemporaines des beaux temps de la céramique chinoise. Ce fut une heureuse fortune pour notre curiosité de rencontrer cet intérieur chinois embelli par des mains anglaises, une plus heureuse fortune encore de trouver sur la terre étrangère l’accueil que nous y réservait la gracieuse, et bienveillante famille de M. Alcock.

Bien des Anglais n’ont point complètement abjuré les vieux préjugés qui obligeaient jadis tout bon insulaire à détester le pape et à maudire la France. Ceux d’entre eux qui ont gardé le fiel héréditaire, qui prêtent encore le serment du test en leur cœur, nourrissent contre nous une de ces antipathies sombres et opiniâtres qui étonnent notre générosité. Avec de pareils Anglais, que votre réserve ne désarme point devant de premières avances ! Sous les formes les plus polies, sous l’enveloppe la plus courtoise, vous ne tarderiez pas à sentir la pointe du trait caché que la haine semble avoir trempé comme une flèche malaise dans le suc de l’upas. M. Alcock n’appartenait point heureusement à cette classe d’ennemis invétérés : il éprouvait un penchant réel pour la France ; il souhaitait sincèrement pour son pays l’amitié d’un peuple éclairé, l’alliance d’un gouvernement libéral. Ce sentiment, il l’eût proclamé sans crainte à la face du Royaume-Uni : il aimait à le confesser par ses actes sans se laisser arrêter par les vains scrupules auxquels sacrifie trop souvent un faux patriotisme. Aussi le consulat d’Angleterre nous fut-il ouvert à Shang-hai, pendant notre court séjour dans ce port, avec autant d’abandon et de confiance que l’avait été le consulat de France.

Notre première séance dans cette aimable demeure était trop officielle pour qu’elle pût se prolonger au-delà de quelques minutes. D’ailleurs nos momens étaient comptés. Nous étions attendus à deux heures précises chez le taou-tai, et notre politesse devait être celle des souverains. Nous nous empressâmes donc de regagner nos chaises et de nous diriger vers le palais du mandarin Lin-kouei. Cette fois ce ne