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Shang-hai n’étaient pas toujours assez larges pour les évolutions de ce brillant cortège. Parfois les brancards s’embarrassaient dans les piliers ou dans la devanture de quelque échoppe chinoise, le mandarin français était obligé de descendre de sa chaise pour aider ses porteurs à sortir de ce mauvais pas, et la dignité de l’idole se trouvait compromise.

Le consul d’Angleterre avait droit à notre première visite, et c’était la maison qu’il habitait alors au sein de la ville intérieure[1] que nous nous efforcions d’atteindre à travers le labyrinthe le plus compliqué qu’ait jamais renfermé l’enceinte d’une cité orientale. Après mille détours, nous vîmes enfin apparaître les murs du consulat britannique ; les disques d’airain suspendus dans la loge du concierge frémirent sous les coups répétés des serviteurs chinois ; la porte massive tourna lentement sur ses gonds, et les officiers qu’annonçait ou saluait cet affreux vacarme furent reçus par l’interprète et le vice-consul anglais au bas du perron de la cour d’honneur. Les Chinois ont poussé l’horreur de la symétrie jusqu’à la puérilité. Si vous étudiez leurs monumens, si vous pénétrez dans leurs demeures, vous y remarquerez à chaque pas la simplicité des lignes sacrifiée à dessein, l’unité de l’ensemble brisée comme à plaisir, pour faire place aux surprises ménagées par un goût bizarre. La maison qu’habitait M. Alcock, fermée aux rayons du soleil, mais ouverte à la brise, pouvait flatter le caprice d’un artiste : l’admirable patience que la race anglo-saxonne apporte en tous lieux à la poursuite de son bien-être avait pu seule y ménager un logement convenable pour une famille anglaise. Deux consuls y avaient consacré leurs efforts. Telle qu’elle s’offrait à nous, transformée par de longs et coûteux sacrifices, cette étrange habitation semblait avoir acquis tous les avantages d’une maison européenne, sans avoir perdu le cachet pittoresque que lui avait imprimé l’imagination de l’architecte chinois. Des poêles et des cheminées portatives en avaient chassé le froid et l’humidité. Dès qu’on y entrait, on se sentait enveloppé d’une douce température, comme si des mains invisibles vous eussent jeté une robe de chambre japonaise ou une chaude pelisse sur les épaules. Un vestibule imposant vous introduisait dans la salle à manger, vaste pièce attristée par un jour avare, où veillait à l’un des angles un calorifère constamment allumé. À l’étage supérieur, sous les combles, se trouvait le salon, auquel on arrivait

  1. La chancellerie du consulat d’Angleterre avait été élevée sur le terrain cédé à la communauté britannique ; mais, pour établir plus sûrement leur droit de circulation dans la ville de Shan-hai, les Anglais avaient voulu, après le traité de Nan-king, que leur consul résidât, non pas dans les faubourgs, mais en dedans de l’enceinte fortifiée, au milieu de la ville chinoise. Aujourd’hui que leur droit ne peut plus, après une longue jouissance, être contesté, ils s’occupent de construire sur le terrain qui leur appartient un véritable palais pour leur consul. Chaque officier du consulat aura une maison séparée. Un vaste jardin et une promenade publique entoureront ces habitations.