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semblait animer les nouveaux arrivans. Les missionnaires jugèrent prudent de se retirer. En voulant se frayer un passage à travers la foule, ils eurent le malheur de frapper un des hommes qui s’opposaient à leur retraite. Ce premier coup fut le signal de l’attaque. Armés de longues perches de bambou, de pioches, de socs de charrue, les Chinois obtinrent une facile victoire sur ces trois étrangers. Non contens d’avoir maltraité les missionnaires anglais, ils les dépouillèrent et les auraient emmenés à bord de leurs jonques, dans l’espoir de tirer de leurs prisonniers une forte rançon, si la milice de Tsing-pou n’eût jugé à propos d’intervenir. Conduits devant le maire du village, les Anglais furent immédiatement relâchés et ramenés, avec tous les égards possibles, à leur embarcation. Dès le lendemain, ils rentraient dans Shang-hai, où les détails de cet événement et l’état déplorable dans lequel se trouvait un des blessés excitèrent une vive émotion et une indignation générale.

Le consul anglais n’avait pas besoin d’être animé par l’élan de l’opinion publique pour ressentir cette offense plus vivement que personne. Prompt à réprimer les écarts et les violences de ses compatriotes, nul agent ne mettait plus d’ardeur à maintenir leurs droits dans les causes légitimes. M. Alcock se rend donc sur-le-champ chez le taon-tai et réclame avec vivacité la punition des coupables. Le mandarin promet de les faire arrêter, et, comme on pouvait le prévoir à l’avance, cette promesse demeure sans effet. Le consul insiste : le taou-tai renouvelle ses protestations ; mais le temps se passe, et les coupables n’arrivent pas. Trois cents jonques déjà chargées de grains pour le nord étaient en ce moment réunies devant Shang-hai. M. Alcock profite habilement de cette circonstance. Le 13 mars, il déclare le blocus du port et formule son ultimatum. Dix des principaux assaillans subiront un châtiment exemplaire, et une somme considérable, juste dédommagement des mauvais traitemens infligés aux missionnaires, sera versée à la chancellerie anglaise, ou les jonques attendues à Pe-king ne sortiront pas de la rivière. Un brick de guerre anglais, le Childers, s’embosse en travers du fleuve, et c’est avec l’appui de ses seize canons que M. Alcock parle en maître à ce mandarin chinois qui commande à plusieurs millions d’hommes. Le taon-tai indigné ordonne à ses jonques de forcer le blocus ; mais, au premier mouvement de la flottille, un coup de canon part du Childers ; les jonques laissent retomber leur ancre, et, pendant plusieurs jours, cet immense convoi se tient immobile.

L’agitation cependant était extrême à Shang-hai. Qui eût jamais pu croire que les barbares oseraient arrêter le riz de l’empereur ? Cette audace sacrilège confondait tous les esprits, et l’infortuné taou-tai, en proie à mille terreurs, ne savait plus quel parti prendre. Il offrait de faire bâtonner deux des témoins de l’attentat ; mais, quant aux principaux