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la guerre au Napolitain maledetto, le prit en amitié. Carmina, qui avait de la voix, apprenait ses chansons populaires, et le patron riait de ses lazzis. Un soir, au retour d’une promenade dans les sites magnifiques du mont Rosso, le marquis rentrait à Syracuse entouré de tout son monde. Carmina chantait avec accompagnement de guitare et de zampogna, et le poupon, bercé par le pas de la mule, dormait dans son panier, lorsqu’on entendit un grand bruit de grelots et de clochettes. Le patron interrompit la musique et commanda de faire silence. Du haut de sa monture, Carmina vit une lettiga escortée par des cavaliers et qui suivait le bord de la mer. Ce convoi venait de Noto, chef-lieu de la province. Carlo, qui se connaissait en voyageurs, assura que la lettiga devait porter une belle dame ou un grand personnage.

— Attention ! s’écria le marquis. Voici ce que je cherche.

La lettiga, ornée de papier peint et soutenue par deux mulets de haute taille, avançait rapidement. La bande des promeneurs se rangea pour laisser le passage libre. Un vieillard, en uniforme de général et d’une figure belle et vénérable, mit la tête à la portière. Il sourit dans ses moustaches grises, et adressa un salut plein de grace et de courtoisie au seigneur Cermano de l’air d’un homme qui voudrait lier conversation. Le marquis rendit le salut, et fit marcher son mulet de manière à se tenir à portée de la voix.

— N’est-ce pas au seigneur marquis Cermano que j’ai l’honneur de parler ? demanda le vieux militaire.

— A lui-même, mon général.

— Je suis charmé de rencontrer une personne de votre mérite, seigneur marquis. Je sais que le vulgaire vous prend pour un mezzo-matto ; mais on m’a raconté de vous un trait qui ferait envie à l’homme le plus sage. Nous en reparlerons à Syracuse ; je prétends vous témoigner mon estime ailleurs que dans ce désert. Des bruits de choléra et de troubles m’amènent dans cette province ; mais on m’a déjà dit à Noto que je n’aurais pas besoin d’user de mes pouvoirs, grace à votre courage et à votre humanité.

— Ah ! s’écria le marquis, si vous aviez le temps de m’écouter, que d’autres occasions je pourrais vous offrir de déployer votre autorité ! que de blessures à fermer, que de malheureux à protéger je pourrais mettre sous vos yeux !

— Parlez, au nom du ciel ! dit le général. Cette rencontre est une bonne fortune pour moi. J’ai beau interroger, fureter, menacer : soit par haine, par peur ou par flatterie, on me dissimule tout. Dieu soit loué ! je trouve enfin un homme de cœur et un ami.

— Et moi, Dieu soit loué ! je trouve enfin une ame noble, honnête et généreuse. Depuis assez long-temps je la cherche de ville en ville ; pour l’attirer sur mon chemin, j’aurais voulu emplir ce pays du bruit