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ne me revoir jamais. Voilà qui est convenu : vous m’accompagnez à Syracuse.

— Je n’entends rien à votre langage de mezzo-matto, répondit Carmina, mais j’ai confiance en vous et je vous accompagnerai, fût-ce au bout du monde.

Pour installer commodément la mère et l’enfant, notre homme augmenta son convoi d’un mulet. On déposa le marmot dans un des paniers. Carmina, les pieds dans l’autre panier, pouvait surveiller son poupon et lui donner le sein tout en voyageant. Carlo se réjouit beaucoup d’emmener si bonne compagnie. Afin d’éviter les attroupemens de curieux et d’importuns, la caravane se mit en marche au point du jour ; elle sortit de la ville par la porte Ferdinanda, et elle était déjà loin lorsqu’on apprit à Catane que le mezzo-matto portait ailleurs ses bizarreries. La guitare et la littérature de grands chemins de maître Carlo remplirent agréablement les loisirs des voyageurs. Vers quatre heures de France, le second jour, les fers des mulets commencèrent à résonner sur l’antique voie de pierres construite par Hiéron, l’ami des Romains. La tombe d’Archimède apparut au milieu du désert de marbre où s’éleva jadis Syracuse, qui fut, dans le moment de sa splendeur, la plus grande ville du monde et la plus peuplée. — Mes amis, dit le seigneur Germano, nous avons de l’avance ; on ne ferme les portes de la place de guerre qu’une heure après le coucher du soleil. Reposons-nous ici.

Sur les débris de la grande porte d’Exapilon, le marquis, debout et les bras croisés, contempla l’espace immense que couvrait autrefois le quartier d’Epipolis. — Trois milles à parcourir, dit-il avec emphase, trois milles avant de rencontrer une habitation, une muraille debout, et pourtant nous sommes à Syracuse ! Un million et demi d’hommes ont été réunis dans cette enceinte. Salut à la rivale d’Athènes et de Rome ! Quelle foule sur ces plages publiques ! quel mouvement dans ce port ! Admirez ces temples, ces palais, ces chefs-d’œuvre des arts, ces voiles innombrables qui sillonnent la mer, ce commerce florissant, ces vaillantes armées qui ont battu Alcibiade, Nicias et Démosthène ! O Syracuse ! en aucun lieu de la terre il ne fait meilleur vivre que sous ton ciel clément. Je ne m’étonne point de cette population qui s’agite dans ton sein comme une fourmilière. À qui donc fera-t-on jamais croire que la civilisation voudrait s’en aller là-bas, dans le stupide et barbare septentrion, dans ces contrées ingrates et glacées où César envoyait ceux qu’il n’aimait plus mourir de consomption ? Quelle idée burlesque 1 Demandez au savant Archimède si cela est possible ! Que deviendrait Syracuse ?… Des décombres, d’informes décombres !

Le marquis, voyant que ses compagnons le regardaient avec des yeux inquiets, se tut et cacha son visage dans ses mains. Peu à peu il