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généreux dessein de l’école à laquelle on donna, pour marquer sa nationalité, le surnom de gothique. Cette école fit cause commune avec les phosphoristes, mais en circonscrivant sagement le sujet, encore bien étendu, de ses travaux. Les phosphoristes, qui avaient détrôné les classiques du temps de Gustave III, avaient encore imité les littératures étrangères ; ils s’étaient faits les disciples de l’Angleterre et de l’Allemagne au lieu d’être ceux de la France. Les poètes gothiques, au contraire, voulurent être seulement scandinaves. Ami et collègue de M. Atterbom, Geijer ne s’abandonna pas, comme lui, à des élans bizarres et excentriques. Excité par l’exemple du grand poète danois OEhlenschläger, qui avait déjà substitué la poésie souvent creuse et guinée de Baggesen une littérature toute nationale, il fonda, en 1811 le recueil intitulé Iduna dans lequel il inséra quelques-unes de ses plus gracieuses pages : le Dernier Scalde, le Viking, etc. La lecture de ces beaux vers, simples et énergiques, étonna toute la Suède. Il se dit comme une odeur de pin qui rappelait les vieilles forêts du Nord. On écoutait encore cette muse dont les accens pénétraient jusqu’au cœur de la Suède, lorsque le poète se fit historien. Sa grande histoire de Suède, Svea Rikes Häfder, dont la première partie a seule paru, donna une interprétation nouvelle de la mythologie scandinave, plus savante et par cela même plus claire et plus large qu’on ne l’avait jamais soupçonnée. Retrouver les titres de noblesse d’une nation qui se cherche elle-même, la ramener à tout ce qui est grand et beau par le souvenir de ce qu’elle a fait déjà et le présage de ce qu’elle saura faire, la fortifier dans ses faiblesses, la consoler dans ses malheurs, la diriger enfin dans le chemin de l’avenir, n’est-ce pas le plus beau rôle auquel puisse prétendre l’histoire ?

Le triomphe de l’école gothique fut la Saga de Frithiof, de Tegner. La Suède avait désormais une épopée nationale ; elle ne pouvait plus douter des promesses de la littérature nouvelle ; elle touchait du doigt les merveilles qui lui avaient été prédites. Ni la sauvage beauté de ses antiques forêts, ni la vie guerrière de ses Vikings, ni la grace modeste de ses jeunes filles, rien de tout cela n’avait été oublié par le poète. Axel et la Première Communion continuèrent dignement cette veine nationale, le premier de ces poèmes en évoquant le souvenir toujours respecté de Charles XII, le second en retraçant les mœurs profondément religieuses des campagnes suédoises. L’école gothique apportait, on le voit, aux phosphoristes de puissans auxiliaires contre l’école classique ; mais il n’était déjà plus besoin de combattre : la paix était conclue. M, Atterbom avait le premier exprimé le désir d’une réconciliation. Il alla trouver Léopold qu’il avait combattu, s’assit auprès du poète aveugle et lui récita en s’humiliant quelques-uns des plus beaux vers de l’école classique composés par Léopold lui-même. Le vieillard répondit en citant les poésies de M. Atterbom, l’Axel, le Frithiof et le Soleil