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seulement, sans amertume ni colère, forcer ce titulaire nouveau à te montrer son brevet, et, s’il eût persisté dans son superbe silence, exiger la remise des dépêches.

— Oh ! que je suis fâché de n’avoir point pensé à cela ! s’écria Carlo. Le chagrin de perdre mon emploi, la crainte de manquer mon mariage, et puis le dédain, l’assurance de ces deux hommes, tout cela m’a rendu stupide. Hélas ! excellence, que devenir à présent, sans état, sans ouvrage, avec deux mules sur les bras et le loyer d’une écurie ?

— N’es-tu pas honteux, reprit le marquis, de gémir ainsi à ton âge et pour si peu de chose ? Ces doléances sont ridicules ; il faut gagner ta vie. Mets-toi sur les places publiques, offre tes mules aux. Anglais qui voyagent. Tous les fonctionnaires de ce pays, jusqu’aux facteurs et aux postillons, étant des Napolitains, tu faisais une exception à la règle. Si tu veux conserver ma protection, voici le moment de montrer du courage : je n’aime pas les gens faibles et pleureurs.

Carlo se retira confus de la triste figure qu’il venait de faire, et au désespoir d’avoir manqué de vigueur et de présence d’esprit. Il se coucha sur le sable et y demeura une heure sans mouvement à ruminer sa faute. L’idée lui vint alors que, ce Francesco ne partant de Taormine qu’au point du jour, on pouvait, en marchant toute la nuit, arriver à temps pour le rencontrer sur le chemin de Francavilla, lui enlever les dépêches de gré ou de force, et faire une dernière fois le service de messager. Sans communiquer son projet à personne, Carlo donna une portion d’avoine à sa mule et partit pour les montagnes. Il connaissait les sentiers de traverse, et fit si grande diligence, qu’il arriva bien avant le lever du soleil au point où le messager devait infailliblement passer pour se rendre à Francavilla.

Don Francesco, tenant par la bride son mulet, chargé de dépêches, aperçut dans un mauvais chemin maître Carlo équipé en messager comme lui. Il devina le danger de cette rencontre et voulut sonder le terrain en habile diplomate. — Bonjour, don Carte, dit-il avec bonhomie. Vous vous êtes levé matin, et je dois être le premier à vous souhaiter une heureuse journée.

— Vous n’étiez pas si poli que cela hier, répondit Carlo. Votre langue s’est dégourdie dans la nuit, à ce qu’il me semble. Puisque je vous trouve en humeur de donner audience, faites-moi la grace de me montrer le brevet qui vous autorise à prendre ma place.

— Croyez-vous par hasard, reprit le Napolitain, que j’usurpe des fonctions qui ne m’appartiennent pas ?

— Je n’en sais rien. Voyons votre brevet.

— Apprenez que le garçon de bureau de la direction des postes à Messine est le parrain de l’enfant d’un de mes cousins. Il m’a dit un jour : « Francesco, tu devrais entrer dans notre administration. » Je