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Un incident imprévu vint cependant traverser tous ces projets. Maître Carlo attendait un soir le courrier de Messine à Catane, qui devait lui remettre les dépêches pour Randazzo et les villages des montagnes. Averti par le bruit des grelots et le fouet du postillon, il descendit dans la rue. À sa grande surprise, le char-à-bancs passa rapidement devant lui sans s’arrêter, et le courrier ne daigna pas tourner la tête. Carlo crut reconnaître le mépris dont on s’empresse d’accabler les gens frappés d’une disgrace ; il suivit la voiture en courant, et il la vit s’arrêter devant une petite locanda. — N’avez-vous pas de dépêches à me remettre ? dit-il au courrier.

Sans répondre un mot et sans paraître s’apercevoir qu’il y avait là quelqu’un, le courrier ouvrit son coffre et en tira plusieurs paquets. Un homme vêtu d’habits neufs, le galon d’argent au chapeau, sortit du cabaret, s’empara des bagages d’un air important, et se mit à causer en napolitain avec le courrier.

— Ces paquets, dit Carlo, doivent être déposés chez moi. Si vous venez ici pour prendre ma place, avez la bonté de me montrer votre brevet de messager, car je n’ai point reçu l’avis de ma destitution.

Le Napolitain en Sicile, pour peu qu’il soit investi d’une ombre d’autorité, se considère comme en pays conquis. Plus ses fonctions sont infimes, plus il les relève par la hauteur des manières et par la sévérité du langage. Carlo, comprenant que ces deux pachas se donnaient le plaisir de l’humilier, attendit paisiblement qu’il leur plût de s’expliquer ; mais aucune explication n’était nécessaire. Les recommandations du courrier au nouveau messager sur le service qu’il devait faire éclaircirent tous les doutes. Les deux Napolitains entrèrent dans la maison pour prendre des rafraîchissemens. On remit pendant ce temps-là les chevaux au char-à-bancs ; les voyageurs remontèrent à leurs places, le courrier désaltéré sauta sur le siège, et le postillon fouetta ses chevaux. Carlo, seul dans la rue, se promena de long en large devant la maison. La servante de la locanda, qu’il connaissait, sortit pour aller à la fontaine. Il interrogea cette fille, et il apprit qu’un certain don Francesco, arrivé le jour même, et qui faisait parade de son crédit à la direction des postes de Messine, se disait titulaire de l’emploi de messager entre Taormine et Randazzo. Maître Carlo demanda conseil à sa pipe de jonc. L’amitié du marquis étant son unique bien sur la terre avec l’amour de la Zita, il prit sa meilleure mule et se rendit à la villa Germana, où il parvint avant la nuit.

— Mon ami, lui dit le marquis après l’avoir écouté, je conviens avec toi que cette façon de procéder ne se voit que trop souvent dans notre pays ; mais nous devons supposer qu’un retard ou un accident imprévu a empêché l’avis de ta destitution d’arriver aux Jardins avant ton remplaçant. Je te félicite de ta patience et de ta modération. Tu aurais pu