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au travail, qu’à la fin je l’ai apaisé en lui promettant d’être aussi forte, aussi active qu’un homme, de faire autant de besogne et de ne point me marier. Le soir, quand j’appelle mes chèvres, elles entendent ma voix à un mille de distance ; je porterais quatre gerbes de blé sur ma tête d’ici à Gallidoro sans me reposer. Mon bras n’est pas gros ; mais je ne suis pas embarrassée pour jeter une botte de paille sur une charrette, et mon père n’ose plus gronder.

En parlant ainsi, la Zita étendait son bras délicat, dont le soleil n’avait pas encore altéré la blancheur.

— Tu sais jeter en l’air une botte de paille, dit le marquis, et tu ne sais pas que ton bras est d’une forme admirable. La Vénus de Syracuse n’en avait pas de si beaux.

— Il ne faut point me dire cela, excellence. Tant mieux pour cette dame de Syracuse, si elle n’a pas besoin de travailler ! Moi, j’ai promis de rester fille. Que je sois belle ou laide, peu importe ; mais je sens que si ma tête partait, mon serment ne m’arrêterait plus, et c’est pourquoi j’ai peur des galanteries.

— Ton serment ne vaut rien, reprit le marquis. Les belles filles comme toi sont faites pour être mariées et pour donner beaucoup d’enfans à notre mourante Sicile. Est-ce que dans ces montagnes tu ne connais pas quelque part un garçon bien bâti qui te parle d’amour ?

— Quant à du bonheur dans notre maison, répondit la Zita, comme votre seigneurie me le demandait tout à l’heure, il y en aurait assez si le pain ne manquait jamais. Lorsque les poules ne pondent point et que les chèvres ne donnent pas de lait, mon père a de l’humeur et ma mère s’inquiète. Cependant, avec la protection de la sainte Vierge, on joint toujours les deux bouts de l’an.

— A force de joindre les deux bouts, reprit le seigneur Germano, on devient vieux, et avec l’âge arrivent les infirmités. Quand ton père et ta mère ne pourront plus travailler, il ne sera plus temps de leur donner un gendre.

— Un gendre voudrait emmener sa femme chez lui.

— C’est selon le métier qu’il ferait. Ce pays est-il si désert que tu n’y puisses trouver celui dont tu serais volontiers la femme ? Réponds-moi comme à un ami.

— Des gens de notre condition, répondit la Zita, doivent s’estimer bien heureux d’avoir un patron humain et bon comme votre excellence. Tout ce que nous souhaitons, c’est qu’elle ne vende pas ses biens à quelque seigneur de la terre ferme qui nous traiterait sans pitié.

Un groupe de cactus sur lequel séchait du linge annonça le voisinage d’une habitation.

— Voici notre maison, poursuivit la Zita ; je vais avertir mon père de votre visite et cueillir des citrons pour préparer la limonade.