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Pendant dix-huit ans, M. Guizot, malgré le ton hautain de sa parole, a remporté à la tribune des victoires nombreuses. Qu’on accepte ou qu’on répudie les théories qu’il a défendues, il n’est permis à personne de nier ou de révoquer en doute le talent singulier qu’il a déployé. Professeur de droit politique à la tribune comme il était professeur d’histoire dans sa chaire de la Sorbonne, il n’a jamais lassé, jamais épuisé l’attention. Pour juger ses discours, il ne faut pas les lire, car le style en est trop souvent pâteux ou diffus : il faut les avoir entendus. M. Guizot semble avoir eu toujours présente à la mémoire la réponse de Démosthène au jeune Athénien qui l’interrogeait sur les devoirs de l’orateur : il a cultivé l’action avec un soin particulier. Son œil s’allume et flamboie, sa lèvre frémit, son geste impérieux prescrit le silence ; il possède tous les dons de l’orateur et du tragédien. Ses adversaires mêmes, tout en niant la valeur des idées sur lesquelles il s’appuie, sont obligés de proclamer sa puissance. Ses panégyristes ont loué sans réserve ce qu’ils appellent l’art d’élever le débat. Pour moi, je crois que M. Guizot a souvent abusé de cette faculté. En élevant le débat, il lui arrive d’oublier son point de départ, de noyer une question spéciale et précise dans un déluge de maximes générales applicables à toutes les questions. Cependant, malgré son penchant pour la déclamation, il occupe un des premiers rangs parmi les orateurs politiques de notre pays. On peut lui souhaiter plus de sobriété dans l’argumentation, plus d’éclat dans la parole ; les auditeurs familiarisés avec les luttes du parlement anglais lui reprocheront d’agiter des questions au lieu de discuter les affaires : toutes ces objections, bien que très sérieuses, n’ôtent rien à mon admiration pour le talent oratoire de M. Guizot.

Nous pouvons maintenant résumer en quelques traits sa physionomie intellectuelle et le rôle qu’il a joué, je ne dis pas dans les affaires de notre pays, mais dans le développement des idées politiques. Son esprit, bien qu’habitué aux méditations les plus ardues, substitue parfois l’apparence de la grandeur à la grandeur même, et ceux qui se résignent à jurer sur sa parole prennent volontiers l’ombre de la vérité pour la vérité vivante. Il y a dans l’austérité de son langage, dans le ton dogmatique de son argumentation, quelque chose de théâtral qui séduit, qui subjugue les hommes assemblés, et ne saurait obtenir l’assentiment du penseur solitaire. Il est donc permis de croire que M. Guizot ne sera pas, pour la génération qui nous suivra, ce qu’il est pour la génération présente : les lecteurs seront plus sévères que les auditeurs. Toutefois, malgré ces restrictions, que le bon sens prévoit, il comptera toujours parmi les esprits les plus élevés de la France.


GUSTAVE PLANCHE.