Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 13.djvu/1074

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

législatifs de Charles-le-Chauve. Il prouve très clairement que la diversité des races ne suffit pas à expliquer le démembrement de l’empire carlovingien, et que les capitulaires signés par les successeurs de Charlemagne révèlent l’affaiblissement de l’autorité centrale et la division du territoire plutôt que la lutte des races.

J’en ai dit assez pour montrer tout ce qu’il y a d’excellent et de fructueux dans l’enseignement de M. Guizot. La plupart des idées qui ont cours aujourd’hui dans le domaine historique n’ont pas d’autre origine. Envisagée sous le rapport scientifique, l’Histoire de la Civilisation européenne et de la Civilisation française peut prétendre au premier rang, et c’est un droit que personne ne voudra lui contester. L’auteur a interrogé les documens originaux avec la patience d’un bénédictin et nous présente sous une forme précise ce qu’un esprit vulgaire démêlerait à grand’peine dans ce chaos de pièces très authentiques, mais d’une lecture très laborieuse. Ainsi, comme savant, il a obtenu et devait obtenir des louanges unanimes ; mais l’histoire ne se réduit pas à la science. Il y a dans la tâche de l’historien deux parts bien distinctes : la connaissance des faits et l’art de les raconter. Or, si M. Guizot, dans le domaine purement scientifique, ne laisse rien à désirer, il faut bien avouer qu’il n’en est pas de même dans la narration. Autant il est à son aise dans l’Histoire de la Civilisation, autant il est gêné dans l’Histoire de la Révolution anglaise : toutes les idées sont les bienvenues dans son intelligence ; tous les faits trouvent en lui un narrateur inhabile.

Quant au style de ses ouvrages, je suis forcé de le condamner. Bien que j’aie entendu classer M. Guizot parmi les plus grands écrivains de notre temps, je crois pouvoir affirmer qu’il ne s’est jamais occupé de style et qu’il regarde en pitié tous ceux qui descendent à ce vulgaire souci. À l’appui de mon opinion, j’apporte deux phrases qui peuvent servir de type et se trouvent répétées maintes fois dans l’Histoire de la Civilisation. Parlant de la réforme religieuse de l’Allemagne et de la révolution politique de l’Angleterre, l’auteur dit que ces deux progrès étaient liés à des situations diverses. Ailleurs, parlant de la ruine des institutions carlovingiennes, il dit que ces institutions, par la nature même des choses, ne pouvaient manquer de tomber dans une prompte décadence. Je ne prends pas la peine de rappeler le nom que les rhéteurs donnent à cette singulière locution. La citation du texte me suffit. Il est évident qu’un écrivain capable de telles méprises n’a jamais pris le style au sérieux. Quel sera donc le rang littéraire de M. Guizot ? Il comprend, il explique admirablement l’histoire et ne sait pas la raconter. C’est un historien savant à qui l’art a manqué pour populariser son savoir. Si ce jugement paraît sévère aux esprits inattentifs, j’ai la ferme confiance qu’il paraîtra juste aux esprits sérieux. Personne n’admire plus sincèrement que moi l’érudition et la