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de la Civilisation européenne ne peut être comprise que par les hommes familiarisés avec l’histoire des faits accomplis. Pour s’en étonner, il faut être doué d’une singulière présomption. — Comment ! un homme d’une rare sagacité aura consacré vingt années de sa vie au dépouillement des documens originaux, et le premier venu, lettré ou illettré, s’attribuera le droit de comprendre les idées déduites de ces documens. Autant vaudrait vouloir comprendre la physiologie sans l’anatomie, c’est-à-dire les fonctions des organes sans l’étude préalable de leurs formes, l’astronomie, c’est-à-dire les lois qui régissent les corps célestes en raison de leur forme, de leur masse et de leur poids, sans la connaissance préliminaire de la mécanique rationnelle. L’évidence me dispense de toute discussion. Je me contente d’affirmer que M. Guizot a très bien jugé, très bien caractérisé tous les événemens compris entre le Ve et le XIXe siècle. Il a traité avec un soin particulier les croisades et la réforme, et je dois avouer que je n’ai jamais vu ces deux grands faits aussi clairement expliqués. Lors même que l’Histoire de la Civilisation européenne n’aurait pas d’autre mérite, nous devrions encore la recommander à l’attention, car ces deux grands faits ont été trop souvent défigurés par l’ignorance et par la passion. M. Guizot leur a restitué le caractère qui leur appartient : il a jugé le moyen-âge et les temps modernes, dont les croisades et la réforme sont la plus haute expression, avec une impartialité qui ferait honneur aux plus grands esprits.

Arrivé à l’Histoire de la Civilisation française, comme il sent devant lui un plus large espace, il donne à l’analyse des faits un plus hardi développement. Je ne crains pas de le dire, la vie et la décadence de la race mérovingienne, la grandeur et la ruine de la race carlovingienne, l’avènement et le rôle de la race capétienne proprement dite, n’ont jamais trouvé un historien plus fidèle, plus zélé, plus pénétrant. La loi salique si souvent citée, si peu connue, est analysée par M. Guizot avec une clarté qui ferait envie aux juristes les plus consommés. Après avoir lu les citations qu’il prodigue, il est impossible de conserver l’ombre d’un doute sur la valeur politique de cette loi. Il est évident que le droit public des nations régies par la maison de Bourbon repose sur une entorse donnée à la loi salique. Le testament de Ferdinand VII, attaqué comme une violation flagrante de la loi salique, n’a rien à démêler avec elle, car cette loi n’a statué que sur l’hérédité civile appliquée au territoire, et garde le silence le plus profond sur l’hérédité du trône. M. Guizot a très bien montré que l’avènement de la race carolingienne était une seconde invasion, une seconde conquête ; et quoique M. Augustin Thierry eût déjà mis en lumière les principaux faits sur lesquels repose cette démonstration, je dois dire que les argumens présentés par l’historien de la civilisation