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maladresse. L’auteur a beau protester en quelques paroles sévères contre la défaite du droit, le lecteur oublie trop facilement cette protestation formulée avec tant de sobriété ; réussir ou échouer deviennent pour lui synonymes de justice et d’injustice. L’historien qui veut populariser la vérité ne doit pas, ne peut pas se contenter d’approuver ou d’improuver les événemens qu’il raconte ; il faut absolument qu’il donne à ses idées la forme d’un sentiment, à l’improbation la forme de la colère, à l’approbation la forme d’une vive sympathie. S’il persiste à parler comme parlerait un esprit pur, sans témoigner ni joie ni colère, il ne tarde pas à lasser l’attention, et le lecteur méconnaît bientôt les mérites réels qui le recommandent.

La figure de Cromwell est peut-être la seule qui ait tenté l’historien et lui ait suggéré la pensée de dessiner un portrait. Je ne dis pas qu’il ait accompli avec un succès complet cette tâche difficile ; je me plais du moins, à reconnaître qu’il n’a pas craint de l’aborder. Il a très bien saisi et mis très habilement en lumière le mélange de fourberie et de sincérité, d’enthousiasme et de bouffonnerie dont se compose le caractère de Cromwell. Il avait sous la main, il tenait au bout de son pinceau tous les traits de ce modèle étrange ; s’il ne l’a pas offert à nos regards tel que l’histoire nous le montre, ce n’est pas faute de savoir, mais faute d’ardeur. Il connaissait parfaitement tous les vices et tous les mérites du protecteur, mais sa passion pour l’analyse lui inspire un dédain profond pour tout ce qui ressemble de près ou de loin à la vie politique ou religieuse. Sachant Cromwell sur le bout du doigt, il s’est contenté de l’indiquer, de l’esquisser à peine. J’en peux dire autant d’Henriette de France, immortalisée par son malheur et par l’éloquence de Bossuet. Nous aurions aimé à voir cette femme frivole intervenir par ses conseils étourdis dans le gouvernement du royaume ; nous aurions voulu assister, autant du moins que le permettent les témoignages authentiques, aux luttes soutenues par le bon sens du roi contre l’aveugle fierté de la reine. M. Guizot, qui avait feuilleté tous les documens, s’en est servi avec une sobriété obstinée : à peine pouvons-nous entrevoir le profil d’Henriette.

Enfin, quand il aborde le procès de Charles Ier, l’auteur éprouve une si grande répugnance pour la mise en scène, la nature de son esprit se prête si peu au récit des événemens tragiques, et persiste si fièrement à demeurer dans la région des idées pures, qu’il se borne à transcrire les procès-verbaux de l’interrogatoire subi par le roi. Se défiant de ses forces, ne trouvant pas en lui-même la faculté de mettre en œuvre les documens qu’il a réunis, il les copie comme ferait un greffier, de telle sorte que le procès et la mort de Charles Ier deviennent, sous sa plume, une chose de pure érudition. Il sait et ne sent pas. Familiarisé avec les sources auxquelles il faut puiser, il trie avec