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dire pour une telle émancipation. L’autorité de Louis XIV ne pouvait être contestée à l’époque où la domination de la cour romaine rencontrait de si tièdes résistances, car il ne faut pas oublier que, si la mort de Charles Ier a précédé de trente-trois ans la déclaration des libertés de l’église gallicane, trois ans après cette déclaration le roi prononçait la révocation de l’édit de Nantes. Il y a dans le simple rapprochement de ces trois dates une éloquence que les plus habiles argumens ne sauraient réfuter. Cette vérité si facile à saisir, M. Guizot a su l’entourer d’une évidence lumineuse, et personne, je crois, après avoir suivi le développement de sa pensée, ne pourra persister à voir dans la révolution anglaise une catastrophe infligée à l’humanité par la colère divine comme une juste expiation de ses fautes. Il faut y chercher tout simplement le développement logique des idées qui s’étaient produites depuis la charte jurée par le roi Jean.

J’insiste à dessein sur l’argumentation de M. Guizot, parce qu’il se rencontre aujourd’hui dans la foule illettrée deux classes de lecteurs dont l’autorité scientifique est nulle, et qui pourtant jouent un rôle désastreux dans la formation de l’opinion publique. Les uns condamnent sans pitié la révolution anglaise, comme ils condamnent l’invasion d’Attila, avec la même ignorance et la même sécurité, et la flétrissent comme un crime sans excuse ; les autres la glorifient comme un effort surhumain, comme une action héroïque, comme une action que le passé ne permettait pas de prévoir. M. Guizot, avec une sagacité rare, remet l’enthousiasme et l’anathème à la place qui leur appartient. À l’anathème il répond : Que signifie cette colère ? Ignorez-vous donc que, depuis le roi Jean jusqu’à Henri VIII, l’élément démocratique s’est développé en Angleterre sans halte, sans relâche ? Ignorez-vous donc que, sous les Tudors, les communes ont acquis un ascendant qui, sous les Stuarts, ne pouvait manquer de maîtriser l’autorité royale ? ignorez-vous donc que la charte de 1215, confirmée, remaniée, élargie du XIII au XVIIe siècle, devait tôt ou tard mettre en échec l’autorité royale ? Aux admirateurs de la révolution anglaise, à ceux qui voient dans cet événement mémorable un fait inattendu, une manifestation imprévue de l’énergie humaine, il répond : Croyez-vous donc que ce fait si légitime soit sans raison dans le passé ? Croyez-vous donc que la défaite de la royauté soit un échec sans cause ? Remontez le cours des siècles ; comptez les remontrances des barons à la royauté, comptez les transactions de l’autorité royale et de l’aristocratie, et vous comprendrez que la défaite de Charles Ier était préparée depuis long-temps quand les prédications de Luther sont venues offrir une chance nouvelle au triomphe de la démocratie. Sans l’assistance de la liberté religieuse proclamée à Wittenberg en 1517 et citée à la barre de la diète de Worms en 1520 par la puissance impériale, la