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de voir son pays réduit à n’être, comme il l’appelait, que l’antichambre de la France, il osa le premier, en face de l’influence française triomphante, prononcer les noms de Shakspeare, de Klopstock, de Goethe et d’Ossian. Thorild était un penseur original et profond ; il aimait la poésie avec enthousiasme, il en sentait les beautés avec une exquise délicatesse. Son poème des Passions, en vers non rimés, atteste l’habitude de la réflexion philosophique. La liberté d’esprit et de jugement qui caractérisait Thorild le désignait d’avance comme un adversaire de l’école classique ou française. Quand il eut publié en 1791 son Projet d’une législation dans le monde intellectuel, l’académicien Léopold lui opposa une réfutation intitulée : Le nouveau projet d’une législation dans le monde intellectuel un peu mis en question. Le défenseur de l’école classique avait amassé dans cet écrit une multitude incroyable d’argumens faibles et mal développés, auxquels Thorild répondit par une vive brochure qui mit les rieurs de son côté, mais qui lui fit aussi de nombreux ennemis. On l’accusa d’être ouvertement hostile à la forme et à l’esprit du gouvernement monarchique. Son ouvrage sur la liberté de l’intelligence, publié en 1792, le fit poursuivre devant les tribunaux et condamner à la déportation. Cependant l’opinion publique estimait Thorild ; on commençait à partager ses principes. Il y eut presque une émeute en sa faveur : le gouvernement se contenta de l’éloigner, et le nomma professeur à Greifswald, en Poméranie.

Franzén salua enfin de ses chants mélodieux l’aurore nouvelle qui commençait à luire sur la Suède. Fils de cette Finlande dont les Suédois pleurent tous les jours la perte, né en 1772 à Uleaborg, Franzén fut d’abord professeur à Abo. Après avoir célébré avec un généreux enthousiasme le patriotisme de nos armées républicaines, il voyagea en Allemagne, en Danemark et en France. Aujourd’hui Franzén est depuis vingt ans déjà évêque de Hernösand, capitale de l’Angermanland, et sa juridiction s’étend jusqu’à l’extrémité septentrionale de la Suède, sur les tribus nomades des Lapons. On a souvent comparé les poésies de Franzén aux Méditations et aux Harmonies de M. de Lamartine ; l’inspiration en est plus sympathique et plus naïve. « Dors, enfant, dit Franzén dans un de ses plus gracieux poèmes, la mère chante, l’enfant écoute. La perle repose dans le calice de la fleur, l’enfant repose sur le sein de sa mère. Prenez garde, petits oiseaux, à la fleur, à la perle. Taisez-vous, chien et chat, gardiens de la maison ! — Il s’apaise sous le baiser de sa mère ; la fleur ferme son calice, l’enfant ferme ses yeux. S’il rouvre sa paupière, du moins il ne pleure plus. — Le voilà qui repose dans sa couchette. Il ne songe ni au pape ni à l’empereur ; la voix et la main de sa mère, voilà son univers et toute sa vie. Mais, hélas ! quel germe d’avenir est assoupi dans ce sommeil ? Plaisirs aveugles, fausses espérances, êtes-vous ici comme le ver caché qui, plus tard, souillera la