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depuis les plus gracieux jusqu’aux plus violens, il y a dans l’intelligence humaine bien des pensées qu’il ne rendra jamais. Or M. Guizot n’a pas songé à marquer la limite où finit le domaine de la peinture. Tout entier au plaisir de suivre dans ses dernières conséquences sa double définition, il paraît croire que la peinture peut aborder tous les sujets, que la couleur peut lutter avec la parole. C’est à l’histoire qu’il appartient d’éprouver cette théorie, et l’histoire nous répond que la peinture doit parler aux yeux avant de parler à l’esprit. Vainement rappellerait-on qu’Albert Dürer, Poussin et Rubens ont trouvé le moyen de personnifier des idées purement philosophiques ; l’exemple de ces trois grands maîtres ne change rien à la nature des choses. Quand ils ont personnifié des idées purement philosophiques, ils ont toujours pris soin de les transformer avant de nous les offrir. Une fois incarnées dans une figure, dans une action, ces idées appartiennent à la peinture aussi bien qu’à la philosophie ; et, comme toutes les idées ne se prêtent pas à cette incarnation, j’en conclus que le domaine de la peinture n’est pas indéfini. La seconde formule de M. Guizot n’est donc pas plus vraie que la première, car, soumise à l’épreuve de l’histoire, elle s’écroule et se réduit en poussière.

Aussi je ne m’étonne pas qu’ayant à parler de Raphaël, M. Guizot ait gardé les habitudes purement littéraires de son esprit. N’ayant pas vécu dans les ateliers, il n’en connaît ni la langue ni le travail. Il parle de Raphaël comme un homme qui a plus d’une fois feuilleté Vasari et Lanzi, mais qui n’a jamais songé à vérifier par ses yeux les affirmations du biographe et de l’historien. Sans doute Vasari offre une lecture pleine d’intérêt et de profit, sans doute Lanzi a réuni dans un petit nombre de pages une foule de documens précieux il est donc utile de consulter Vasari et Lanzi ; toutefois les renseignemens qu’ils nous fournissent ne sauraient nous dispenser de l’étude des galeries et des ateliers. Il ne suffit pas en effet, pour développer le goût dont le germe peut se trouver dans notre intelligence, de voir, de contempler, d’analyser les œuvres accomplies : il faut encore assister à l’enfantement de la pensée qui veut se traduire par la forme ou la couleur. C’est à cette condition seulement qu’il est permis de comprendre les maîtres de l’art et d’estimer avec impartialité ce qu’ils ont voulu, ce qu’ils ont fait. M. Guizot n’a pas tenu compte de cette nécessité ; aussi, quand il nous parle de Raphaël, nous devinons sans peine que toutes ses paroles sont puisées dans les livres. Il ne dit rien qui révèle la connaissance des galeries et des procédés de l’art. Lors même qu’il ne prendrait pas plaisir à citer les sources où il a puisé, le lecteur le moins pénétrant saurait à quoi s’en tenir sur l’origine de ses pensées. Si M. Guizot n’eût jamais écrit que sur la peinture et sur la statuaire, son nom serait sans doute parfaitement ignoré, car, malgré la sagacité