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une signature particulière, aient soumis l’expression de la douleur aux lois de l’harmonie linéaire, c’est une vérité hors de doute ; mais il n’est pas moins évident que le grand prêtre et ses deux fils étreints par les anneaux du serpent contredisent la définition de M. Guizot. Lors même que nous ne saurions pas, par le témoignage des historiens, que Pythagore de Rhèges s’était illustré par la représentation de la douleur, l’œuvre d’Agésandre suffirait pour établir que l’antiquité ne s’est pas interdit, dans la statuaire, l’expression des mouvemens violens. Malgré le sacrifice fait à l’harmonie linéaire, la figure de Laocoon se débat sous l’étreinte du reptile. Si, au lieu de consulter les livres, M. Guizot avait consulté les galeries, il n’eût pas commis cette méprise. Personne assurément ne contestera la valeur du groupe placé dans la Tribune de Florence ; or ce groupe représente deux lutteurs. Harmonieux sous quelque aspect qu’on l’envisage, il ne viole aucune des lois de la sculpture, et je défie le plus habile de mettre ce groupe d’accord avec la définition de M. Guizot.

Il serait trop facile de prodiguer les argumens qui renversent cette théorie : qu’il me suffise de citer les métopes du Parthénon et les bas-reliefs de Phigalée ; qui oserait, dans une telle question, récuser l’autorité de Phidias ? Eh bien ! comment l’auteur s’y prendra-t-il pour démontrer que le Combat des Lapithes et des Centaures se compose exclusivement d’attitudes calmes ? Les tympans et la frise du Parthénon lui donneraient raison ; les métopes réfutent victorieusement son assertion. Le Combat des Amazones rapporté de Phigalée, sans appartenir, comme les Lapithes et les Centaures, à l’âge d’or de la sculpture, n’est pourtant pas à dédaigner. Si l’exécution laisse beaucoup à désirer, il faut bien reconnaître que les mouvemens sont généralement vrais, et que l’énergie n’enlève rien à la beauté des lignes. Ainsi la théorie de M. Guizot est battue en brèche par l’histoire.

Quant à la définition de la peinture, elle défie avec le même succès le blâme et l’approbation. Dire en effet que la peinture peut aborder tous les sujets, c’est une vérité trop vraie. Sans doute le champ offert au pinceau est infiniment plus vaste que le champ offert au ciseau ; mais, si l’on néglige d’énumérer les conditions auxquelles la peinture est soumise, on n’enseigne au lecteur rien qu’il ne sache depuis longtemps. Il ne s’agit pas de comparer entre eux les moyens matériels employés par la peinture et la statuaire, de rappeler que le spectateur peut tourner autour d’une statue, tandis qu’un tableau n’offre aux yeux qu’une surface plane. Autant vaut affirmer que l’air et l’eau ne se ressemblent pas : Ce qui importe, c’est de déterminer quels sont les sujets, permis, quels sont les sujets interdits à la peinture, car le pinceau, plus libre sans doute que le ciseau, ne peut cependant pas aborder tous les sujets. S’il lui est donné d’exprimer tous les genres de mouvemens,