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surabondamment que la confiance de Fontanes était bien placée. Toutefois, si le choix fait honneur à la clairvoyance du protecteur, il faut toujours le compter parmi les chances heureuses qui ont marqué la jeunesse de M. Guizot. Une fois résolu à l’accomplissement de cette mission périlleuse, il devait naturellement, pour ne pas tromper l’espérance de ses amis, aborder l’étude des sources historiques, et c’est ce qu’il a fait. Il n’y avait en effet qu’une seule manière d’assurer l’autorité de son enseignement : c’était de l’appuyer sur des preuves authentiques, et ces preuves ne se trouvent que dans le témoignage des écrivains contemporains des événemens qu’ils racontent. M. Guizot ne l’ignorait pas, et toutes ses études ont été conduites d’après cette donnée. Il ne lui est jamais arrivé de s’adresser à des témoignages de seconde main ; il a toujours senti la nécessité de recourir aux documens originaux, et c’est ce qui donne tant de valeur à son enseignement. C’est pourquoi la clairvoyance de Fontanes mérite notre gratitude. S’il n’eût pas en effet confié à M. Guizot l’enseignement de l’histoire moderne, peut-être le jeune ami de M. Stapfer s’en fût-il tenu pendant long-temps au témoignage des historiens qui préfèrent l’arrangement des périodes à la précision des faits. La nécessité d’expliquer devant un auditoire nombreux et composé d’hommes déjà mûrs la série des événemens accomplis depuis la chute de l’empire romain jusqu’à la révolution française lui a montré toute l’importance des sources, tout le dédain que méritent les récits de seconde main, et, quand j’élargis la tâche proposée au jeune professeur, ce n’est pas que je confonde le moyen-âge avec les temps modernes ; mais je me souviens que toutes les leçons de M. Guizot désignent sous le nom d’histoire moderne l’espace compris entre l’invasion des Barbares et la convocation des états-généraux.

Cependant le professeur si justement applaudi, dont les leçons, recueillies par deux mille auditeurs, ont nourri notre jeunesse de méditations sérieuses, n’a pas trouvé sans effort, sans tâtonnement, la voie qui lui convenait, la voie qui pouvait seule lui convenir. Ainsi, vers 1810, ne comprenant pas encore que l’histoire était sa véritable vocation, il s’évertuait à disserter sur la peinture et la sculpture. Assurément, ce long discours sur le salon de 1810 n’est pas l’œuvre d’un esprit vulgaire : il est permis pourtant d’affirmer que c’est l’œuvre d’un esprit très peu familiarisé avec les secrets de l’art. Je ne parle pas des bévues dont le goût seul peut s’affliger. Je pardonne de grand cœur au critique novice sa préférence pour Gérard, dont l’esprit ingénieux et persévérant devait conquérir le succès dans toutes les carrières, mais ne s’appliquait pas plus directement à la peinture qu’à la diplomatie. Je lui pardonne ce qu’il dit de Gros et de Prudhon et l’ignorance qu’il révèle dans l’analyse de ces deux maîtres ; mais je ne saurais