Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 13.djvu/1038

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sans valeur, c’est là ce dont il devine la portée d’un coup d’œil, c’est là ce qu’il développe et ce qu’il féconde. Son travail, comme celui de la nature, est tout intérieur et organique. Il est de ceux qui, à l’aspect du gland, devinent le chêne. Nous allons choisir dans le Faust de Goethe quatre ou cinq scènes, surtout celles où brille la plus poétique et la plus incontestable originalité, et nous serons surpris de trouver dans nos petites pièces de marionnettes les racines et, si je puis ainsi parler, les molécules élémentaires dont ces vigoureuses productions se sont formées.

LE PROLOGUE DANS LE CIEL. — Goethe, en faisant précéder sa tragédie de Faust d’un prologue surnaturel, a obéi à une délicate convenance du sujet que la plupart des joueurs de marionnettes avaient également pressentie. Seulement, à la différence du Prologue dans le ciel, l’avant-jeu des marionnettes se passe ordinairement en enfer devant le trône de Satan ou de Pluton[1].

LE MONOLOGUE. — L’idée d’ouvrir par un monologue ce drame où les angoisses de la pensée solitaire tiennent une si grande place, remonte aux anciennes pièces de marionnettes. Sans doute, le monologue de Goethe est d’une profondeur et d’une richesse d’aperçus incomparables. Cependant il n’est pas moins intéressant de voir dans les théâtres de marionnettes Faust, au lever du rideau, seul, entouré de livres, de compas, de sphères et d’instrumens cabalistiques, sonder le redoutable problème de la certitude, et flotter entre la théologie, qui est la science divine, la philosophie ou la science humaine, et la magie, la science infernale.

SCÈNE DE L’ÉCOLIER. — Cette scène, si justement admirée, où Méphistophélès, sous la robe de Faust, mystifie et persifle si diaboliquement son candide interlocuteur, se trouve en germe, si je ne me trompe, dans la pièce des marionnettes d’Augsbourg. Entre autres conditions que Méphistophélès a insérées dans le pacte qu’il engage Faust à signer, il y a celle de ne pas remonter dans sa chaire de théologie. « Mais, s’écrie Faust, que dira-t-on de moi dans le public ? – Oh ! que cela ne t’inquiète pas, répond Méphistophélès ; je prendrai ta place, et, crois-moi, j’augmenterai beaucoup la gloire que tu t’es acquise dans les discussions bibliques[2]. »

SCÈNE DE LA TAVERNE. — Vous vous rappelez la taverne d’Auerbach à Leipzig, où Méphistophélès conduit Faust, et où il joue plus d’un tour de son métier. Il y a aussi dans la pièce des marionnettes de Cologne une scène de cabaret qui me semble avoir pu faire naître dans l’esprit de Goethe la première idée de la sienne. Qu’on en juge. Quelques étudians sont attablés auprès de Faust et de son compagnon. Ils

  1. Voyez le Faust des marionnettes d’Ulm. Dans le grand Faust des marionnettes d’Augsbourg, pendant tout le premier acte, la scène est en enfer.>
  2. Voyez la pièce du théâtre des marionnettes d’Augsbourg.